Richard III : L’ascension dans les ruines

Esthétique de la fin du monde

Lorsque nous entrons dans la salle du Roi René, nous découvrons la scène sous la voûte d’une chapelle décrépite où quelques vestiges de peintures s’accrochent ça et là. Trois grandes tapisseries florales, passées et lasses, recouvrent les murs. C’est comme entrer dans une salle du trône fatiguée, privée de toute sa splendeur. Sur le plateau, on découvre une structure métallique faite de bric et de broc : de portes de voitures, de tiges métalliques, de tabourets etc … Une chimère de ferrailles qui intrigue et occupe la scène étroite.
Les comédiennes accueillent le public avec ferveur le temps de l’entrée en salle. Elles sont toutes vêtues de robes, plastrons, vestes, capes cousus d’un amas de cravates. Ces costumes signés par Delphine Ciavaldini, reprennent l’esthétique de Phèdre que le metteur en scène Laurent Domingos avait joué l’an passé, également au théâtre du Roi René.

Nous sommes, comme souhaité par le metteur en scène, dans une esthétique « post apocalyptique ». Le pouvoir a perdu de sa superbe. Dans le vrombissement étrange de la musique sourde de Guillaume Blanc, il semblerait presque que l’on entre dans le ventre d’une bête en pleine digestion, ou bien que l’on se réfugie dans le dernier bâtiment qui tient debout, et l’on entend au loin les bruits d’un monde déchu. Le lieu, les costumes, les décors : tout semble répondre à tout. L’esthétique est précise, le parti est pris. On reconnait la signature de Laurent Domingos et l’on s’assied pressé·es de voir vivre, sous les mots de Shakespeare, cet univers underground, puissant et tranché.

© Dimitri Klosowski

Le monde entier est un théâtre

La voix chaude et noueuse d’Alexiane Torres – qui incarne Richard III – donne le ton. En 1485, tandis que l’Angleterre connaît une ère de paix sous le roi Édouard IV, son frère difforme Richard III a d’autres desseins pour le royaume :  » Dans cette molle et languissante époque de paix, je n’ai d’autre plaisir pour passer les heures que d’épier mon ombre au soleil et de décrire ma propre difformité. Aussi, puisque je ne puis être l’amant qui charmera ces temps beaux parleurs, je suis déterminé à être un scélérat. « 
Richard III, commence alors son ascension macabre et donne bien vite les ordres d’assassiner tour à tour toutes les personnes pouvant l’éloigner du trône. Si ce n’est Alexiane Torres qui jouera uniquement Richard III, les quatre autres comédiennes incarneront frénétiquement le reste des personnages. Pour ne pas perdre le public, elles jouent avec un code simple -mais habile- de changement de costumes, toujours de cravates vêtues. Outre la lisibilité que ce procédé apporte, il rappelle bien que le chœur de cette pièce est la question du pouvoir.

À chaque assassinat, Richard III, revêt la dépouille de celleux qu’il a tué·es, transformant peu à peu sa silhouette, renforçant la difformité de son corps. Mais si nous avons assurément un monstre face à nous, le metteur en scène sait quand bifurquer dans les intentions de jeu pour gagner la sympathie du public. Il introduit des scènes comiques juste avant de nous demander d’acclamer Richard III. La pièce nous manipule tout autant que le protagoniste. L’ascension semble infinie, les comédiennes transforment la structure de métal pour hisser le trône de Richard toujours plus haut. On voit grimper ce trône de fer dans une salle en ruines et l’on se demande ce qu’il reste du royaume à gouverner. Alexiane Torres finit alors perchée à 3 mètre de sol bien agrippée à sa fourche en guise de sceptre. Perché au plus haut, le trône de ferraille branle, l’on souhaite et craint la chute.

©Dimitri Klosowski

Shakespeare n’est jamais loin

Richard III de Laurent Domingos sait quand embrasser une mise en scène contemporaine et quand renouer avec les codes du théâtre Shakespearien. La pièce n’est pas en décalage avec l’œuvre mais bien au contraire, elle saisit l’essence du théâtre du Globe. Les règles ne sont pas ignorées mais réinventées, transgressives, repensées. Ainsi contrairement à l’époque de Shakespeare, où elles étaient interdites sur le plateau, ce ne sont que des femmes qui incarnent tous les rôles.

Tout comme l’univers esthétique chiadé et pensé avec soin, la direction des actrices est d’une grande cohérence. Malgré le projet assez fou de jouer Richard III en seulement 1h30, les coupes n’abîment pas la dramaturgie et les enjeux y sont préservés. Les comédiennes comblent les coupes avec des textes issus d’improvisation. Le changement de registre n’altère pas le rythme et reste très harmonieux avec l’ensemble. À l’image du reste, le jeu est pensé comme un tout. Les comédiennes dévoilent un jeu puissant, vibrant et sur le qui-vive. Elles ne quittent jamais le vivier brûlant du temps présent, de la justesse et de l’écoute, nous laissant entendre et résonner en nous la langue de Shakespeare.

Richard III est un pari ambitieux mais réussi d’une pièce intelligente, besogneuse, mature et humble. Les dosages sont réussis à tout point de vue et l’ensemble est un tout palpitant, généreux et de haute voltige.

© Dimitri Klosowski

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