L’ouvrir : une nouvelle constellation dans la nuit

Se raconter

En entrant dans la salle, nous sommes accueilli·es chaleureusement par Pauline Legoëdec, Valentine Gérinière et Morgan•e Janoir. Il n’y a pas de chichi, d’effet de lumières, de machine à fumée, de costumes ou accessoires mirobolants. Un décor quasi nu : au fond, à jardin, une table avec un ordinateur pour la musicienne (Valentine Gérinière) et deux chaises où s’installent Pauline Legoëdec et Morgan•e Janoir. Pauline prend la parole et nous raconte dans une adresse frontale et englobante l’histoire d’Alex, une jeune femme à la vie bien rangée qui se découvre lesbienne.

Si Pauline Legoëdec a la charge du récit parfois parlé, parfois chanté, on comprend vite que cette fiction n’en est pas une et qu’elle raconte en réalité l’histoire de Morgan•e Janoir. Ce dernier est présent au plateau, et intervient sporadiquement, mais le gros de la parole est assumé par Pauline qui se voit confier -et nous confie en retour- ce récit très personnel. Ce décalage dans la confidence rend l’intime universel. Cette histoire nous est offerte avec la conviction tacite que nous en prendrons soin, tout comme Pauline en prend soin. Nous nous ouvrons délicatement aux histoires des autres, qui parfois peuvent traverser les nôtres.

Alex, l’héroïne de cette auto-fiction, énonce son goût à écouter les histoires d’autrui et particulièrement les podcasts où les personnes interrogées racontent un changement de vie radical, un basculement. Elle explique que ce sont toutes ces histoires qui ont pu l’aider à se trouver elle, et lui ont permis de réaliser qu’elle aime les femmes. L’ouvrir devient presque un podcast live, où sont incorporés des enregistrements de lesbiennes de tout âge qui racontent leur propre basculement, le moment où elles ont su. Convoquer l’univers du podcast nous installe dans une qualité introspective, bien qu’entouré·es des autres spectateur·ices. Nous sommes dans un petit cocon de bienveillance et de partage.

© Thalie Alvesteguie

Une communauté silenciée

En écoutant toutes ces histoires de coming out, on se rappelle combien il y a peu d’histoires de coming out lesbien. Il y a très peu de modèles, de récits identitaires, de personnages ou personnalités connues dans la pop culture. Encore plus marginalisée que la communauté gay, la communauté lesbienne est très silenciée. Pourtant, Alex, l’héroïne, à mesure qu’elle rejoint cette communauté accepte avec joie toute la culture associée. Sur scène on raconte joyeusement les butch, binder, la mutinerie, être complimenté·e de viking, les joies de la tondeuse et bien des termes qui avaient très rarement franchi les frontières d’une scène de théâtre.

Dans sa quête d’identité, le personnage d’Alex va aux manifestations, se joint à des cortèges de mixité choisi. À mesure que ce corps accepte son identité, il se politise, presque malgré lui. Exister, s’assumer, vivre, devient un acte de résistance. Cette haine lesbophobe est écrite en creux. On la retrouve par moment dans la pièce : lorsqu’Alex suit le conseil de la patronne de son bar de prédilection pour sortir par la porte de derrière et ne pas se faire agresser par les hommes installés devant. Mais ce n’est pas le cœur du propos : L’ouvrir raconte avec conviction tout ce qu’il y a à gagner. Le spectacle est notamment une déclaration d’amour à cette communauté où règnent l’entraide, le soin, la résilience et le courage. Ces femmes se soutiennent, comme se soutiennent au plateau Pauline Legoëdec, Valentine Gérinière et Morgan•e Janoir. Iels sont là pour se regarder, s’écouter, s’admirer avec une bienveillance troublante et contagieuse.

©Thalie Alvesteguie

Tout en douceur

Le propos est énoncé avec une grande tendresse, sans pour autant tomber dans une quelconque mollesse. Les interprètes trouvent un endroit, très juste, de tranquillité tonique et de douceur éveillée. Cela est mis en exergue par la musicienne Valentine Gérinière qui mixe et joue de la flûte traversière. Une pulsation de beats met en mouvement l’histoire, qui une fois lancée ne peut plus s’arrêter. Cette histoire a la clarté et la délicatesse des notes cristallines de la flûte traversière. Cette présence musicale offre une nappe englobante qui soutient les comédien·nes et qui permet également d’accompagner les bascules entre récit parlé et récit chanté. Transformer la narration par endroit en chanson dévoile les interprètes, les installe sur un fil. Ce ne sont pas des moments de performance à la Broadway mais plutôt l’envie irrésistible de chantonner une mélodie qu’on portait en soi.

L’ouvrir est une constellation d’histoires, qui ornent le plateau, l’habillent et le subliment. Cette quête d’identité est traversée de sororité, de lumières et de finesse. Avec douceur et sincérité, les interprètes nous confient ces histoires. À nous d’en prendre soin.

© Thalie Alvesteguie

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