Pleins Feux se réjouit de suivre cette année encore la programmation du JT24, un festival dédié aux créations de jeunes artistes issu·es d’écoles nationales. C’est dans le cadre de ce festival que nous avons découvert le travail de l’équipe issue de l’ENSATT de Lyon avec son dialogue musical et poétique pleurePASpapa, écrit et mis en scène par Jules Benveniste.
L’éclat d’un souvenir
En entrant dans la petite salle du Jeune Théâtre National, on découvre la scénographie faussement minimaliste et efficace d’Andréa Warzee. Le sol est couvert d’une sorte de sciure de bois, au fond deux grillages de terrain vague se dressent. Derrière celui posé à jardin une table de mixage et des instruments de musique se dessinent : la promesse d’une immersion musicale.
Vivre une plongée, c’est en tout cas l’intention de l’auteur, metteur en scène et comédien Jules Benveniste. Il écrit dans le manifeste distribué au public « Lorsque je découvris les écrits de Pier Paolo Pasolini (…) J’ai fait naufrage dans la langue de ce poète (…) Le texte que vous allez écouter est une tentative de traduire cette expérience. » L’intention est donc de retranscrire sur scène l’expérience sensible d’une rencontre artistique. Le projet est ambitieux, il est en effet complexe d’imprégner les spectateur·ices d’une sensation. Tout au long de la pièce, la salle sera vivement éclairée par un projecteur tournant , pendant un instant seulement, comme la lumière d’un petit phare. Cet éclat lumineux est comme cette quête de vouloir capturer un instant, de saisir le fugace. Le spectacle tâtonne et cherche à clarifier les contours diffus de souvenirs et d’identités. Simone le personnage, incarné par Jules Benveniste, tente de raconter son voyage à une saxophoniste (Lucille Gallard). Il se plonge dans ses souvenirs et au travers une parole fleuve – parfois trop riche – accompagné de la musique composée en live de Lucille Gallard, parvient à faire jaillir des tableaux très touchants. Par exemple, la mémoire d’un match de foot : la joie infinie de marquer, le son de la foule, l’immensité à portée de main. Simone maintenant vieillard, repense à ses désirs d’enfants et se souvient que pour être un « bon gamin, tu dois avoir un rêve. », il se rappelle aussi de sa grand-mère lui dire que « la mer est une grosse bassine pour les larmes du ciel. »
L’errance de l’identité
Privé de sa terre, maintenant errant entre des frontières, le personnage de Simone ne semble s’accrocher à son identité que par ses souvenirs. On ne sait pas pourquoi Simone se retrouve là ni même où il est exactement, ni ce qui l’a poussé à partir. Nous sommes simplement témoins de son errance dans un terrain vague. Si les conséquences que les frontières tracent sont bien visibles chez Simone, il est difficilement possible d’établir une quelconque cartographie, si ce n’est que nous sommes entre la France et L’Italie. Le personnage dit d’ailleurs « Hors du café c’est l’Europe, dedans c’est un monde. » Nous sommes convoqués à vivre une somme de mondes, qui une fois traversés, façonnent un être.
Le nom de Simone raconte bien ce clignotement d’identité : « dans la langue d’avant je suis un homme, ici, je suis une femme. » La bascule entre Le Français et L’Italien ouvre des portes vers un ailleurs, parfois les mots sont traduits, parfois pas. Parfois, les italophones présent.es dans le public rigolent avant les francophones, la blague leur parvenant plus vite aux oreilles. On se retrouve imprégné du sentiment de la fin d’un monde, et du désarroi, de la frustration, de la nostalgie, voire de la tendresse que cela peut procurer. On repense alors aux yeux mouillés de l’enfant qui apprend la fermeture du cinéma sur la place du village dans le film Cinema Paradiso de Giueseppe Tornatore.
Une rencontre
Jules Benveniste fait se rencontrer des mondes, des langues et des arts. La pièce se prend au jeu de la friction. La rencontre la plus visible, celle de Simone et de la musicienne, reste assez peu développée. Les moments de saxophone, sublimement interprétés, gonflent la pièce d’une chaleur et d’une tonalité empreintes de consolation et de réconciliation. Même si les thèmes de l’errance et du trouble, sont intelligemment convoqués, on ne parvient pas toujours à poser pied et on peut se faire emporter par le courant de cette parole fleuve. Il faut dire que la pièce est finalement portée par deux auteurs : Jules Benveniste et Pier Paolo Pasolini (parfois ses mots, souvent son ombre) ce qui rend la poésie copieuse. S’il manque parfois de silence ou de musique, la finesse de l’écriture papier et scénique de Jules Benveniste en font une belle rencontre artistique.
pleurePASpapa
Écriture et mise en scène – Jules Benveniste
Avec – Jules Benveniste et Lucille Gallard
Vu le 22 mai 2024 au Jeune Théâtre National (Paris), dans le cadre du festival JT24
Nos autres articles sur le festival JT24 :
Ce soir j’ai de la fièvre et toi tu meurs de froid : radio-fantôme