Festival du Moulin de l'Hydre © Christophe Raynaud de Lage

Festival du Moulin de l’Hydre : « Il faut vivre, c’est la plus grande réussite du monde »

Remettre en eau, construire un feu

Nous n’avons, par les temps qui courent, que très peu d’occasions de nous réjouir. Et quand nous le faisons, nous culpabilisons. De quoi peut-on être heureux·ses, de quoi peut-on se satisfaire quand tout va si mal, quand la souffrance est si grande, quand le monde incessamment s’effondre ? Je ne vous fais pas un dessin, mais nous en sommes toustes conscient·es : c’est la cata. La planète, la politique, les guerres, les génocides, notre santé, nos libertés, nos rêves, tout est asphyxié et tout se meurt. Il n’y a pas d’horizon. 

Mais il y a quelques irréductibles qui ont encore en elleux la foi, la faim, l’espoir. Il y a des créateur·ices qui ont en elleux la force de bâtir, de forger de nouvelles utopies, d’ouvrir un nouveau champ des possibles. Simon Falguières, et avec lui la Compagnie le K et le collectif des Bernards l’Hermite, en sont. Il y a quelques années, iels ont acheté un moulin, en Normandie, à côté de Flers, et l’habitent, dans ce que l’habitat a de plus noble : iels logent sur place, restaurent les lieux, cultivent un potager, érigent des nouveaux bâtis, étudient le cours de la rivière, accueillent des troupes en résidence et des collectifs locaux, s’impliquent dans les politiques culturelles territoriales, organisent un festival de spectacle vivant. Ce festival c’est celui du Moulin de l’Hydre, du nom qu’iels ont donné à ce lieu où la magie, depuis quatre ans qu’iels y sont installé·es, advient. 

Festival du Moulin de l'Hydre © Christophe Raynaud de Lage
Le concert de Deadwood © Christophe Raynaud de Lage

À force de courage, d’entêtement, d’abnégation, de subventions publiques et de financements participatifs, d’implication des populations locales, de quelques soutiens politiques, d’investissements bénévoles, de beaucoup d’huile de coude et d’obstination dans le rêve, ces artistes et artisan·es, ces habitant·es de la terre ont réussi à créer une vie, dans un monde où toute velléité de s’approprier et d’habiter librement un territoire est souvent découragée, voire tuée dans l’œuf. Ici, la puissance du collectif et de la communauté a vaincu non seulement la morosité des temps, mais aussi le désespoir général, et aussi fragile que soit le Moulin de l’Hydre, il est là, rassurant, paisible, vivant. 

Pourquoi fragile ? Parce que rien n’est jamais assuré, ni l’argent dont le collectif a si cruellement besoin ni le soutien politique dont les propositions du Moulin sont si tributaires. Mais l’appui et même l’amour que portent les voisin·es du Moulin au projet, ainsi que l’enthousiasme et la fidélité des spectateur·ices du Festival, semblent pouvoir rendre éternel ce qui est si précaire. Et tant mieux, car celleux qui sont à l’origine de cette entreprise n’en ont pas terminé avec le rêve : le grand projet maintenant c’est de remettre le moulin en eau. Produire sa propre électricité. Être autonome en énergie. Créer la vie par soi-même. Dans la salle de stockage des décors, sur un coin d’étagère, un exemplaire de la nouvelle Construire un feu de Jack Kerouac est posé : construire un feu, remettre en eau, habiter la terre, tout est investi, ici, pour rêver la vie, la vraie, vivre le rêve, le grand.

Festival du Moulin de l'Hydre © Christophe Raynaud de Lage
Le Journal d’un autre de Simon Falguières © Christophe Raynaud de Lage

Rêver, fabriquer, en avoir les moyens

Le programme du Festival du Moulin de l’Hydre est à l’image de ce grand projet : plein de force et de joie, plein de rêves et de célébrations. De la danse, du théâtre, de la musique, mais aussi à manger, à boire, des visites, des marches, des fêtes. Ici, l’entrée est à prix libre, seules les boissons alcoolisées et les crêpes cuisinées par l’association des parents d’élèves des écoles de Flers sont à prix fixe. À vous de choisir combien vous mettrez dans ce délicieux chili végétarien, dans cette citronnade maison, ou encore dans votre entrée qui vous permettra d’assister, le vendredi, à un spectacle de danse, un spectacle de théâtre musical et un DJ set jusqu’au bout de la nuit, et, le samedi, à un spectacle de théâtre en itinérance, un concert par un orchestre symphonique, un duo musico-théâtral, un seul-en-scène, un concert et un nouveau DJ set jusqu’au bout de cette nouvelle nuit, parce que pourquoi se priver de faire la fête, faire la fête, faire la fête ?

Parler de thunes n’est pas très romantique, mais n’en déplaise aux politiques du moment, c’est le nerf de la guerre, et la culture ne peut subsister ni même exister simplement pour la beauté du geste. Alors, oui, il faut donner de son temps et de son énergie, mais aussi de son argent pour que des projets tels que celui du Moulin de l’Hydre puissent voir le jour et être pérennes. Il faut revenir en pèlerin, chaque année, tel·les les croyant·es de la culture que nous sommes, assister à ce festival, il faut en parler, il faut célébrer ces initiatives, et il faut donner des sous (si vous avez acheté un billet de la loterie de la Fondation du Patrimoine, à laquelle le Moulin a eu la chance de participer, bravo, ça a mis des pièces dans la tirelire, et pour faire un don c’est ici). 

Festival du Moulin de l'Hydre © Christophe Raynaud de Lage
Le concert de l’Orchestre du Nouveau Monde © Christophe Raynaud de Lage

Peindre les murs en rouge, être en joie

Maintenant que la question matérielle et nécessaire de l’oseille a été abordée (mais non pas évacuée, il faut y revenir, sans cesse) abordons celle, non moins nécessaire, de l’art, l’Art avec un grand A, le grand, le noble, mais aussi le petit, l’humble, celui qui se loge dans les moindres replis du monde, en un mot, parlons de la poésie. Car le Festival du Moulin de l’Hydre n’est pas un festival de théâtre, ni un festival de danse, ni un festival de musique, c’est un festival de tout ça à la fois, et de tout ce que ces trois arts charrient, les joies et les tristesses, les fêtes et les deuils, les réponses et les questions, bref le Festival du Moulin de l’Hydre est un festival de poésie. Une poésie qui est comme un pays, dans lequel on marche aux côtés de Giono, Clara Meyer, Hatice Özer et Pierre Giafferi, avec le spectacle de Clara Hédouin, Prélude de Pan, de champs de blé en prés à chevaux. Une poésie comme un chaos, avec Giono encore, et le spectacle Vivre de l’acteur Louis de Villers et la batteuse jazz Yuko Oshima. Une poésie comme un concert de fin de monde et de début du nouveau, avec l’Orchestre du Nouveau Monde et son programme aussi éclectique qu’inclusif, engagé et réjouissant : Beethoven et Leonard Bernstein, Florence Price et El Cumbanchero de Rafael Hernandez. Une poésie à tâtons, hésitante et fragile, une poésie précieuse qui se découvre forte et guerrière avec le spectacle musical et dansé Bien parado par le Collectif la Méandre. Une poésie de fable, enfin, une poésie de veillée au coin du feu où Simon Falguières, dans son dernier Journal d’un autre, nous conte, tour à tour mime, clown, imitateur, conférencier, ses désillusions et ses nouveaux désirs, ses amertumes et ses joies. Une poésie que ce même Simon Falguières appelle de ses vœux : « Adieu, théâtre. Que le poème commence. »

Placé sous l’égide de Giono, donc, mais aussi de Mahmoud Darwich (son poème, Ici. Maintenant, Ici et maintenant., cité lors du discours d’inauguration, dit : « Nous sommes vivants et présents, et le rêve se poursuit. »), de la fête et de la joie en réunion, cette quatrième édition du Festival du Moulin de l’Hydre a été un grand moment de célébration et une invitation à aimer, à chérir chaque chose que nos existences de lutte et de résistance nous donnent. Ici, on crée des murs, pas pour enfermer mais pour réunir : les artisan·es du lieu s’attellent à bâtir un nouveau théâtre, couvert celui-ci (à l’inverse de la scène qui a accueilli jusqu’ici les spectacles, en plein air) et des espaces pour mieux accueillir les compagnies en résidences et stocker les décors. Ces murs seront peints en rouge, d’un rouge profond, d’un rouge de colère et de feu.

Maintenant, il faut entrer dans la danse, puisque l’édito du Festival nous convie à nous « unir dans le chant du monde. » En effet, c’est aujourd’hui que tout se joue : il faut chanter, il faut danser, il faut exulter d’être en vie. À titre d’exemple, le spectacle de Hatice Özer, Koudour. Programmé au Festival et créé depuis quelques années maintenant, mais nouveau à chaque fois puisque l’autrice-metteuse-en-scène-interprète le retravaille pour chaque nouvelle représentation avec les forces locales (pour ce vendredi soir, elle avait invité des habitants de la région qui ont fait les chœurs et la foule dansante de son spectacle, ainsi que des musiciens de la communauté turque de Flers, l’un à la zurna, l’autre au davul), Koudour nous dit qu’il est beau et fort de mourir de désir, qu’il faut entrer dans la transe et se laisser consumer par l’amour, pour mieux renaître de ses cendres, pour mieux se joindre au vaste mouvement de la terre, à sa grande révolution.

Festival du Moulin de l'Hydre © Christophe Raynaud de Lage
Prélude de Pan de Clara Hédouin © Christophe Raynaud de Lage

Lire l’article de Plein Feux sur Prélude de Pan de Clara Hédouin.
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