La revue Pleins Feux s’est glissée dans les coulisses du Festival Fragments pour y découvrir les premières esquisses de création des spectacles Bonnes de la cie La Mesa Feliz, et Coraline de la cie 52 Herz. Lors de ce festival qui s’est déroulé mi-octobre, 12 compagnies émergentes ont été invitées à présenter les maquettes de leurs spectacles. L’occasion d’une mise en lumière du besoin qu’ont les jeunes compagnies d’être soutenues et accompagnées dans leurs débuts.
Un festival essentiel
Fondé en 2013 par La Loge (label d’accompagnement de programmation et de structuration des jeunes artistes) le Festival Fragments est un beau tremplin pour les compagnie émergentes.
Bien souvent les jeunes artistes sont frappé·es de désarroi à la sortie des conservatoires municipaux, régionaux ou des écoles nationales (pour quelque un·es). Diplôme en poche, des promesses jusqu’au bout des cils, iels sont rattrapé·es par une réalité qui est malheureusement pas -ou très peu- enseignée dans les formations artistiques : un spectacle se vend, s’achète et s’inscrit dans une industrie culturelle. Tout idéaliste que l’on puisse être, il faut savoir parler business même pour les arts de la scène.
Sans un budget de production, une stratégie de diffusion et le soutien de structures partenaires, il semble impossible de faire vivre un spectacle.
À cette quasi-absence d’éducation sur ces essentiels leviers administratifs, s’ajoute la réalité d’un milieu fébrile où l’accompagnement est parcellaire. Il existe de nombreux dispositifs de subventions publiques pour soutenir les artistes dans leurs premiers pas, puis les plus chanceux·euses, travailleur·euses, acharné·es, talentueux·euses, convaincu·es, stratèges… pourront à force de validations par diverses institutions être enfin nommé·es artistes établi·es. Ainsi s’il y a des aides au début et à la fin des carrières, entre l’émergence et le Festival d’Avignon In existe un grand no man’s land de subvention publique. Ce qui fait que bien souvent l’étiquette d’émergence peut avoir la peau dure. Des compagnies existantes depuis de nombreuses années restent bloquées dans ces réseaux d’émergences, pour pouvoir bénéficier de ces aides financières et cela contribue à dénaturer la réalité de l’émergence.
Le Festival Fragments ose soutenir les vrais balbutiements artistiques avec ses 12 partenaires (En île de France : Théâtre 13, Théâtre Silvia Monfort, Théâtre Paris-Villette, Plateaux-sauvages, Jeune théâtre National, étoile du nord – scène conventionnée; en région : Le volcan – scène nationale du Havre, Festival Mythos, Le Salmanazar – scène de création et de diffusion, le warm-up printemps des comédiens, le théâtre Sorano – scène conventionnée et le forum Jacques Prévert – scène conventionnée).
Ces 12 lieux s’associent pour programmer et soutenir collectivement 12 compagnies dans leur professionnalisation et le montage de leur production.
Lors de ce festival l’émergence, la vraie, est au cœur du programme. Ces premiers projets, encore à moitié dans le four, sont emprunts d’une grande générosité. Les compagnies assument cette vulnérabilité de se dévoiler encore en période de création, mais cette irrévérence participe à créer des formes artistiques troublantes et intéressantes. Tout d’abord, durant une vingtaines/trentaines de minutes les jeunes compagnies cherchent à nous faire plonger dans leurs univers en jouant une scène ou deux. Puis s’en suit la présentation du projet dans son ensemble, d’un point de vue artistique, administratif et technique. Enfin, iels espèrent avoir suffisamment intrigué.es les professionnels dans la salle pour pouvoir discuter avec elles·eux et accrocher leurs spectacles aux branches des réseaux du spectacle vivant.
Bonnes – Louise Herrero
C’est dans cet écrin de promesses que Louise Herrero a présenté avec la Compagnie La Mesa Feliz la maquette du spectacle « Bonnes ».
Dans l’institut de Beauté « Less is more » des participantes se préparent à un grand concours de beauté. Les comédiennes incarnent tour à tour les employées du salon et les clientes.
Le jeu est grand-guignol, puisqu’il rend hommage au burlesque dont la metteuse en scène est particulièrement friande. Elle compose une partition entièrement féminine de ce genre où d’ordinaires les rôles principaux sont masculins. En revisitant ces codes sous un prisme féminin, les enjeux se transposent et apparaît au cœur de la pièce la question centrale de l’injonction à la beauté.
Au milieu du plateau se dresse un grand bassin esquissé pour cette maquette de quelques blocs. Les femmes baignent littéralement dans le bain du patriarcat puisque louise Herrero explique que le bain ne sera non pas rempli d’eau mais bien du sperme de Titus Verus la figure mystérieuse et viril qui régit le concours. S’ajoute dans cet univers de commérage et de bruits de couloir l’intrigue d’une disparition. En effet, depuis sa création, le jour du concours de beauté, une femme disparait mystérieusement.
L’ensemble s’annonce prometteur par son jeu électrisé à 10 000 volt sur fond de gossip macabre et dans une esthétique plastique rappelant 40 degrés sous zéro du Munstrum Theater. Le spectacle Bonnes est une belle mise en bouche d’un spectacle ambitieux qui fait voler en éclat le plafond de verre.
Coraline – Blanche Ripoche
Après une courte pause et un changement de plateau l’on découvre l’univers de l’étrange Coraline. Une jeune femme sans âge qui cherche coûte que coûte à être conforme au monde qui l’entoure. Mais Coraline ne parvient vraiment pas à être bien sous tout rapport. Jaillit de ce petit clown maniéré, des interdits qui lui échappent malgré elle. Son discours qui se veut sans heurt devient une accumulation ridicule de phrases toutes faites. Tandis qu’elle nous parle, Coraline déplie et étend l’immense pile de linge posée en avant scène. Mais très vite la bonne petite ménagère va à l’encontre de son politiquement correct pour bel et bien laver son linge sale en famille. L’étrangeté du personnage empli de tocs, splendidement incarné par Blanche Ripoche, créer assez instantanément une bizarrerie émue où l’on déborde d’empathie pour ce petit monstre gaffeur.
La maquette n’était qu’une toute première esquisse, après une sortie d’à peine quelques semaines de création. Cependant la force du personnage et de l’univers esthétique simple mais efficace annoncent de grandes et belles choses pour ce spectacle.
Il faudra attendre encore plusieurs mois pour que poussent ces projets avant de les retrouver fleuris sur scène. Mais on repart intrigué de ces rencontres éphémères qui demandent à en savoir plus. Le Festival Fragments prend le beau risque de soutenir la création et, chose certaine, les compagnies débordent de créativité, d’envie et de gratitude.
Bonnes
Compagnie La Mesa Feliz
Premières au Théâtre de l’Etoile du Nord les 13, 14 et 15 février 2025
Caroline
Compagnie 52 Hertz
Création prévue à l’automne 2025