Journal d’Avignon : Écrire la jeunesse

Notre jeunesse

Ne pas réussir à se dire

Notre jeunesse, jouée au 11, nous présente une jeunesse errante, sans histoire ou tout du moins qui ne parvient pas à se raconter – faute d’oreilles attentives. La pièce se déroule la nuit entre le 13 et 14 juillet. Plusieurs histoires s’enchevêtrent et tissent une toile. Grim -20 ans- veut fuguer de sa cité de banlieue « les cailloux blancs », en parallèle Anna -19 ans- découvre qu’elle est enceinte. Iels cherchent des solutions face à une vie qui semble ne pas leur appartenir.

La pièce d’Olivier Saccomano semble souffrir elle-même d’une difficulté à se dire. La langue est mystérieuse et tire sur le symbolisme. La langue élève ces jeunes en poète·esses, et ne tombe pas dans des écueils d’un supposé argot typique de la jeunesse.
« VASS. – Le soleil tombe… Le soleil tombe, le fleuve coule, les écoles ferment, l’été s’installe… Tout est
à sa place, tout suit sa pente… On peut commencer. C’est quoi, l’histoire ?
GRIM. – Je te le dirai quand le soleil sera tombé.
VASS. – C’est une superstition ?
GRIM. – C’est une règle : une chose doit finir pour qu’une autre commence »

Pourtant bien qu’armé·es de ces mots, les personnages parviennent difficilement à raconter leur vie. Le récit est dévoré par l’ennui et l’absence d’horizon dans un monde minuscule où rien ne semble avoir de perspectives. L’histoire ne peut d’autant pas se raconter que le dialogue semble impossible, que se soit entre les générations ou devant les institutions. Les mots cherchent leur signification et leurs destinataires. Le public, observateur et à l’écoute, est régulièrement pris à partie, il a le recul suffisant pour échapper au drame.

S’observer

La mise en scène d’Anaïs Assémat est traversée de regards. La pièce est composée d’une grande quantité de monologues, durant ces tirades, les autres attendent et regardent. C’est alors l’occasion de voir les personnages avec leurs parts d’ombre et de lumière. Les comédien·nes s’étoffent et s’habillent de ces yeux braqués sur elles·eux avec courage et passion. Cependant, on regrette qu’il n’y ait pas plus de scènes chorales et dialoguées, d’autant plus qu’il y a 7 acteur·ices au plateau ainsi qu’un musicien qui joue en live (Florian Bergé).
Néanmoins, ce jeu de regards est très intéressant. Il prend en tenaille la scène : le plateau est enserré entre le regard du public et celui du reste de la troupe installé dans des coulisses apparentes. Il n’y a définitivement pas d’ailleurs possible.
La troupe sur le banc des remplaçant·es, est toujours prête à prendre la suite. Elle zyeute, sourit, murmure parfois et nourrit la pièce par son écoute visible. Parfois même, les acteur·ices interviennent et vont chuchoter des indications d’ambiance à l’oreille du musicien qui les applique aussitôt.

Cie l’eau qui brûle, Notre jeunesse – © Nader Soufi

L’Aire poids-lourds

Sous pression

L’aire poids-lourds au Théâtre des Carmes sait exactement quelle est l’histoire à raconter. D’autant plus que le texte de Lachlan Philpott est basé sur un fait divers qui s’est déroulé en Australie. Pourtant, la pièce est construite comme un thriller, et retient volontairement sa chute. L’œuvre est pressurisée de toute part.
Tout d’abord, la forme même est sous pression. La narration oscille entre passé : avant le crime et après, entre les points de vues des différents personnages et la variété des adresses.
Les personnages sont eux aussi contraints. Les protagonistes sont des jeunes filles de 14 ans qui s’inventent une identité. En façade, elles sont violentes et crues, elles racontent des ébats sexuels très graphiques. Mais à l’intérieur, elles rêvent de pouvoir vivre un moment d’amour infini avec le dernier garçon sur lequel elles ont crushé. On ressent très nettement, notamment grâce au jeu très intense mais précis des comédiennes, l’état adolescent. La dichotomie d’une extériorité piégée de diktats et d’une intériorité tapissée de rêves comme les posters d’une chambre mal rangée. Peut-être dans celle-ci y retrouverait-on quelques posters de Thérapie Taxi et des photos de From England with Love d’Hofesh Schechter.

Cette coercition intérieure rejaillit dans les relations entre le personnages. Les rapports sont également contraints et mènent bien vite à des violences comme le harcèlement ou le racisme ordinaire.
Tous ces ingrédients de thriller sont cuisinés dans une cocotte minute. Le jeu est en effet dense, hyper rythmé, l’histoire semble pouvoir dérailler à tout moment. Les spectateurs sont désabusés et contemplent impuissants le précipice grandir et les jeunes filles de plus en plus prêtes à s’y jeter.

Mise à nu

Si les jeunes filles ne veulent pas montrer leur intime, de peur d’être raillées, elles ne se retiennent pas de parler d’intimité. Elles baignent dans une culture d’hypersexualisation mais en étant encore profondément immatures. La pièce n’a de cesse d’aiguiser un couteau de violence avec lequel les filles finissent nécessairement par se blesser. Rien ne semble être capable de les protéger : les adultes sont désespérément laxistes ou au contraire incitateurs.

La pièce présente une réalité lourde, bien que dérangeante, des conséquences d’un système qui hypersexualise les jeunes. La metteuse en scène, Carole Errante, a bien pris conscience de la véracité de cette situation. La pièce a en effet été jouée -avec une forme courte- dans de nombreux établissements scolaires pendant 2 ans. Les élèves s’y retrouvent beaucoup et témoignent des violences qu’iels ont subit ou parfois engendré·es. Des débats se lancent également sur la notion de victime, puisqu’à aucun moment les jeunes protagonistes ne se présentent comme des victimes. Pourtant, elles le sont à bien des égards.
Avec une langue sans détour, un jeu précis et une diffusion de la pièce en milieu scolaire, L’Aire poids-lourds assume sa pédagogie qui s’adresse non seulement aux jeunes mais à leurs garant·es.

Cie Théâtre Marseille, L’Air poids-lourds – © j2mc-photo

Notre jeunesse et L’aire poids-lourds, se rejoignent dans une écriture intense, presque en apnée. Elles écrivent la jeunesse, dénoncent la violence qui se glisse dans les rouages d’un système qui ne se réinvente pas. Ces pièces, au delà dans leur singularité propre, se retrouvent dans une mise en garde : c’est à nous de redoubler d’efforts pour prendre soin de cette jeunesse.

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