Avec Lack, la magie de Lorraine de Sagazan (mise en scène) et de Guillaume Poix (écriture) a encore frappé : sur la scène des Bouffes du Nord, huit acteur·ices Talents Adami 2025 nous parlent d’amour. Dans un joyeux bordel méticuleusement organisé, iels nous racontent leurs histoires, leurs failles et leurs espoirs. Préparez-vous à rire, à pleurer. Préparez-vous à ne pas comprendre, à être troublé·es, choqué·es, soufflé·es. Préparez-vous à en redemander. Bref, préparez-vous à tomber amoureux·euse.
Le grand pardon, la grande orgie, la grande magie
Une immense motte de terre, comme si on avait recouvert un corps. Des fleurs, colorées, déjà fanées, sous verre. Un monticule sur lequel seront déposées d’autres fleurs, mais aussi des lettres, des carnets, autant de souvenirs égrainés. Mais rien de mortuaire ici, que de la joie, que de la vie, même dans la perte, même dans la douleur. L’amour est mort ? Vive l’amour ! Huit acteur·ices-personnes-personnages sont ici, sur la toujours splendide scène du Théâtre des Bouffes du Nord, pour nous parler d’amour, de l’amour vécu, de l’amour cherché, de l’amour trouvé, de l’amour perdu, de l’amour manqué et du manque d’amour, des amours plurielles, orageuses et sacrées, du désamour, bref de toutes les formes, de toutes les possibilités, de tous les horizons de l’amour.
Toutes les formules que l’on pensait éculées parce que trop utilisées, par tout le monde, tout le temps et donc usées, jusqu’à la corde, revivent ici leurs plus belles heures, récupèrent là leurs lettres de noblesse.
Il s’agira, dans Lack, de faire un inventaire joyeux de toutes les routes et de toutes les apparences que prend l’amour, le sentiment (comme quelque chose que l’on ressent) mais aussi l’émotion (comme quelque chose qui nous met en mouvement). Toutes les petites phrases, tous les mots, toutes les maladresses et les grandes déclarations, personnelles et universelles sont là : « je t’aime », « tu me manques », « pardon ». Toutes les formules que l’on pensait éculées parce que trop utilisées, par tout le monde, tout le temps et donc usées, jusqu’à la corde, revivent ici leurs plus belles heures, récupèrent là leurs lettres de noblesse. Inlassablement les huit comédien·nes-auteur·ices-interprètes y reviennent : iels veulent tout dire, tout convoquer, tout revivre, tout transmettre de l’amour.

Avec la passion de l’exhaustivité, Aymen, Fareen, Kim, Marine, Mélo, Naïsha, Nemo et Vincent y reviennent sans relâche, sans trêve, sans peur : au micro iels disent les paroles de pardon, au plateau iels incarnent les ruptures, les disparitions, les silences, en salle iels câlinent, désespèrent, virevoltent. Iels donnent tout pour combler le manque qu’iels savent infini, pour proposer des définitions qu’iels démontent immédiatement, pour initier des chemins qu’iels déroutent sans cesse. Ce spectacle est une révélation : on peut encore dire l’amour, tant et tant, avec plaisir, avec délice, avec peine aussi, mais toujours avec fougue, on peut encore dire quelque chose de l’Amour, dieu et déesse que l’on tente de saisir et dont on parle tout le temps, tous et toutes, depuis la nuit des temps.
Les forces vives
À la scène, iels sont huit mais iels font groupe et c’est là toute la joie du théâtre : des acteur·ices sont né·es, et une troupe avec elleux.
Les huit artistes au plateau sont issu·es du programme Talents Adami Théâtre 2025. Et des talents, ils en ont à la pelle : acteur·ices et auteur·ices de leurs propositions scéniques, flirtant toujours avec l’improvisation entre elleux et avec le public, rois et reines du micro, de l’image forte, de l’imitation, retenons bien leurs noms. Fareen Aslam, Aymen Bouchou, Marine Gramond, Mélo Lauret, Vincent Pacaud, Naïsha Randrianasolo, Nemo Schiffman, Kim Verschueren. Huit jeunes interprètes mis·es en scène par Lorraine de Sagazan et écrit·es par Guillaume Poix, le duo théâtral déjà bien installé et que l’on ne présente plus. À la scène, iels sont huit mais iels font groupe et c’est là toute la joie du théâtre : des acteur·ices sont né·es, et une troupe avec elleux.
On se souviendra longtemps d’Aymen, de comment il convoque le traumatisme de son adolescence, le harcèlement scolaire, les agressions homophobes, comment il le rend vivant, comment, sur scène, par la puissance des mots, ses violenteurs sont là, vivants, et comment lui, Aymen, victime troublée et endolorie, comment il reprend le pouvoir, la puissance, comment il fait usage de la force maintenant que c’est lui, artiste démiurge, qui la tient entre ses mains. Comment il répare aussi, par la parole, par le geste, par le théâtre. On se souviendra longtemps de l’Angoisse d’Aymen, sorte de Claire Chazal faussement timide et vraiment mutine, qui, dans une longue scène relevant tout à la fois de l’impro, de l’exhib, du masque et de la magie, règle ses comptes avec le cerveau qui la fait vivre et par là, avec nous tous·tes : c’est qui cette petite voix en nous qui nous convainc qu’on est laid·e, pas aimable, pas baisable, illégitime ? Pourquoi est-elle là et que dit-elle de nous ? Que révèle-t-elle de nos peurs, de notre anxiété au monde, de nos principes, de nos valeurs ?
On se souviendra longtemps de Marine et de son histoire tortueuse, torturée avec Tristan, de sa passion dans l’amour, dans la douleur, dans le rire. On est avec elle, tout le temps qu’elle s’exprime, qu’elle raconte, qu’elle hurle et qu’elle murmure. Dans son regard tantôt hagard tantôt furieux, toujours habité. On se souviendra longtemps de son cours magistral sur la chimie de l’amour, sur sa recherche d’hormone, sa reconstitution de la scène de rupture comme d’une scène de crime. De son timbre de voix aussi, oscillant entre gravité et fébrilité, souffle fragile qui rappelle combien l’amour rend vulnérable. En racontant leurs histoires personnelles, ces acteur·ices de talents nous parlent, aussi, de nous et c’est à la fois simple et miraculeux.

Elle est belle cette parole donnée à la jeunesse, cet espace et ce temps aussi, précieux. Merci à elleux de s’en être emparé à bras le corps, d’avoir usé ces mots, cette scène et cette soirée, de les avoir embrassés, de ne pas avoir eu peur. Merci à elleux pour leur courage, car il en faut pour incarner l’amour, la plus starifiée, la plus galvaudée, la plus puissante des émotions. L’amour est mort ? Vive l’amour !
Lack
Conception et mise en scène — Lorraine de Sagazan
Texte — Guillaume Poix et l’ensemble des acteur·ices
Avec — Fareen Aslam, Aymen Bouchou, Marine Gramond, Mélo Lauret, Vincent Pacaud, Naïsha Randrianasolo, Nemo Schiffman, Kim Verschueren
Costumes — Anna Carraud & Tom Savonet
Scénographie — Anouk Maugein & Sevgi Macide Canik
Production & diffusion — AlterMachine, Marine Mussillon & Carole Willemot
Stagiaires — Elsa Provansal, Inès Pigouillié, Eden Kraemer, Cassandre Weil & Adélaïde Roullot
Avec des témoignages de personnes amoureuses ou ayant aimé.
Durée 2h15.
Au Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 16 novembre, à 20h et 16h.
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