Après un arrêt par Paris en mai 2024 pour le Paris Globe – Festival Artistique International, le spectacle Malaise dans la civilisation débarque au Festival OFF Avignon à La Manufacture. C’est l’occasion pour Pleins Feux de découvrir l’univers décalé, clownesque et malicieux des metteur·euses en scène québecois·es Alix Dufresne et Étienne Lepage.
Ni quatrième mur, ni rideau
Le titre fait référence à l’essai éponyme de Freud publié en 1929. L’auteur y développe la théorie des pulsions élaborée quelques années plus tôt. Dans cet ouvrage Freud présente l’impossibilité pour le genre humain à être heureux, l’humanité se tournant plus facilement vers l’insatisfaction, la violence et la souffrance que vers le bonheur. La pièce Malaise dans la civilisation, reprend ces thématiques dans un style très peu professoral. La scène va progressivement se transformer un immense terrain de jeu pour toutes ce pulsions refoulées, à nous d’en tirer les leçons, ou non.
Les quatre comédien·nes : Rose-Anne Déry, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon, Alice Moreault incarnent quatre spécimens types. Sur scène arrivent, sans aucune cérémonie, un vieux crooner, une joggeuse du dimanche, un adulescent et une trentenaire active rentrant des courses, sac plastique à la main. Sur le plateau désespérément vide, bien conscient du public qui les observent, iels tentent simplement de s’occuper. L’une mange son yaourt, l’autre fait le tour des lieux. Le regard est franc et incluant, la salle voit autant qu’elle est vue. Tels des clowns, les protagonistes jouent avec l’ennui, la gêne et le rien.
D’emblée le ton est donné, la navigation sera à vue comme le permettent si bien les écritures de plateau. Le spectacle se construira de trouvailles en surprises. La première révélation survient lorsque les personnages découvrent les mondes possibles derrière le rideau du fond de la scène. Tel un rêve, des petits bijoux de scénographies surgissent de nulle part : l’intérieur d’un chalet des grands parcs canadiens, une table de mignardises… En jaillissant sans prévenir, ces éléments de décors confrontent les personnages à une liste d’interdits et de façons de faire qu’iels semblent incapables de suivre. Iels abordent les codes sociaux de biais, et de ce décalage jaillit le ridicule, l’incongru et le rire. À situation habituelle, réaction complètement aléatoire.
Laisser les pensées intrusives gagner
Le spectacle va de pulsions accomplies en pulsions accomplies. Tout est possible – ou presque – pour les personnages qui viennent jouer de tout : accessoires, conventions, rapport avec le public… L’ensemble se fait avec beaucoup de bienveillance et de légèreté, puisque les personnages jouent de la plus grande des conventions : nous sommes au théâtre donc tout est nécessairement faux. Une des comédiennes finit par être prise dans un vertige de toutes les questions philosophiques qu’amène au plateau la pièce : notre place dans le monde, la finitude, le groupe, le vrai, le faux… Le comédien et cascadeur Renaud Lacelle-Bourdon, cherche à la consoler en expliquant qu’iels peuvent plonger dans le doux cocon des faux semblants du théâtre puisque sur scène, il n’est pas lui mais bien un « essai de lui même ». Auquel cas, il peut s’autoriser à expérimenter des choses qu’il n’oserait pas faire dans la « vraie vie » comme par exemple, élancer au-dessus d’une énorme poubelle, sans crainte de la chute puisqu’elle ne le concernera pas directement. Le raisonnement est bien évidemment faussé, mais il nous amène à nous questionner dans la joie. Ainsi, dans ce monde a priori sans conséquence, toutes les pensées intrusives peuvent s’exprimer.
L’absurdité de la réflexion et la satisfaction profonde de cette exploration performative de l’inconscient offre des scènes joyeusement délirantes. La salle rigole fort d’un rire qui lâche prise et qui fait du bien. On se régale de voir ces clowns sympathiques expérimenter minutieusement et se prendre les pieds dans toutes ces règles tacites.
Malaise dans la civilisation est une ode joyeuse à la nature humaine. La troupe semble a contrario de l’essai de Freud dresser un portrait inoffensif de notre inconscient. Iels nous conduisent par le rire à une belle communion de nos bizarreries. On en ressort léger·es, les méninges à turbiner et les zygomatiques endolories.
Malaise dans la civilisation
Texte : Étienne Lepage
Mise en scène : Alix Dufresne, Étienne Lepage
Interprète : Florence Blain-Mbaye, Rose-Anne Déry, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon, Alice Moreault
Scénographe : Odile Gamache
Costumes : Odile Gamache
Production : Étienne Lepage
Musique : Robert Marcel Lepage
Directeur·rice technique : Ariane Roy
À voir à La Manufacture à 16h10 (durée 1h50) jusqu’au 21 juillet – Relâche le 17 juillet.
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