Pillowgraphies, de la compagnie la bazooka

Pillowgraphies : lévitations nocturnes

Large succès depuis sa création en 2017, le spectacle de danse contemporaine Pillowgraphies de la compagnie La BaZooKa, menée par Sarah Crépin et Etienne Cuppens, revient cette année au Festival Off Avignon au sein du tiers-lieu culturel LaScierie pour enchanter les âmes des spectateur·rices de tous âges. Original et virtuose, ce ballet de fantômes en lumière noire nous plonge dans les interstices merveilleux de l’enfance, entre le visible et l’invisible, là où se fabriquent les cris de peur et les cris de joie. 

Magie visuelle

Dans le noir complet, la silhouette d’un fantôme apparaît. C’est la nuit, il est l’heure à laquelle les choses inanimées prennent vie. Ici, sept draps blancs deviennent sous nos yeux des fantômes. Un morceau de tissu et deux trous noirs à la place des yeux suffisent à faire naître des spectres qui, devant nous, se mettent à flotter. L’image fonctionne immédiatement : les sept danseur·euses traversent le plateau à pas légers et, si l’on distingue parfois furtivement le reflet d’un bout de jambe sur le sol, l’illusion s’impose et nous trompe. Dès les premières minutes, nous nous empressons d’adhérer à la suspension consentie de l’incrédulité et d’adopter le regard de l’enfant.  

Malgré leur apparence élémentaire, ces fantômes mutins deviennent pour nous des présences enchanteuses, dont les déambulations et regroupements nous parviennent comme un secret auquel nous n’aurions normalement pas accès. Si les fantômes sont, dans notre imaginaire commun, les messagers de l’épouvante, les simulacres de la mort dont les ombres nous surprennent la nuit, c’est nous, ici, qui craignons presque de les effrayer et de les faire fuir. 

Conciliabules fantomatiques

Pillowgraphies, de la compagnie La Bazooka
© Nora Houguenade

Dans les ensembles comme dans les solos, ces draps lévitants nous offrent des moments de grande poésie, teintés d’autant d’humour que de grâce. Une direction que la compagnie La BaZooKa conserve dans l’écriture jusqu’à la fin du spectacle : elle fait le choix de ne pas choisir entre farce et délicatesse, provoquant dans le public autant d’éclats de rire que d’émotion. Ces sept fantômes de pacotille, pourtant (presque) mutiques, finissent par acquérir chacun une grande individualité, créant chez nous une étonnante empathie. Lorsque l’un d’entre eux tombe au sol et semble, ainsi, s’évaporer sous nos yeux (mais est-il seulement possible de faire mourir un fantôme ?), la peine nous saisit. 

« L’insouciance est le terrain idéal des retournements de situation… » nous prévient Pillowgraphies. Le spectacle nous emmène en effet dans un entre-deux très intéressant, entre blancheur spectrale et lumière noire, entre le monde des vivants et le monde des morts, entre l’imaginaire des enfants et celui des adultes, entre ce que l’on croit être vrai et ce qui ne l’est pas. C’est dans ces brèches que se glissent les choses qui restent : les frissons, les lamentations, mais aussi la liesse et l’euphorie du vivant.

Pillowgraphies, de la compagnie La Bazooka
© Nora Houguenade

Souffle de vie

Sarah Crépin et Etienne Cuppens font ici le pari réussi de s’adresser à notre instinct inné, à cette fameuse « insouciance », mode de perception de la réalité réputé pour être perdu une fois l’enfance passée. Nous renouons avec elle avec un enthousiasme non-dissimulé, bercé·es par une création sonore très travaillée : des chœurs de voix, le souffle du vent, des prises de parole fantomatiques, ou encore des envolées lyriques de compositions de Maurice Ravel permettant de désopilantes apparitions triomphales de fantômes en manque d’attention. 

Ces fantômes-danseurs se jouent avec humour des codes de leur discipline en convoquant dans leurs traversées les mouvements de Maurice Béjart et Merce Cunningham, et en mêlant avec brio tous les genres par des références allant des films d’épouvante aux grosses productions hollywoodiennes en passant par Les Sept Samouraïs de Kurosawa, dont des extraits sonores habitent le plateau. Habités par tous nos ancêtres, ces fantômes semblent revivre tout un tas de souvenirs à la fois héroïques et tendres. Cette plongée chorégraphique dans la mort est en réalité un formidable débordement de vie, dont les sept danseur·euses se voient finalement investi·es lorsque les draps tombent. Avec symbolisme et poésie, les corps vivants se détachent des spectres, et manifestent gracieusement leur jouissance. 

Pillowgraphies est une très belle incursion dans la nuit, secrète et familière. Les fantômes sont ici nos guides, présences moelleuses et enthousiastes en quête de liberté. Le travail chorégraphique de la compagnie La BaZooKa nous transporte du début à la fin, rendant un très bel hommage à la légèreté et nous rappelant joliment « qu’il suffit de flotter pour tenir debout ». 

Pillowgraphies
Conception – La BaZooKa (Sarah Crépin & Etienne Cuppens)
Interprétation (suivant les représentations) – Sarah Crépin, Aurore Di Bianco, Flore Khoury, Sakiko Oishi, Matthieu Patarozzi, Marie Rual, Léa Scher, Taya Skorokhodova, Julien-Henri Vu Van Dung
Chorégraphie – Sarah Crépin, en collaboration avec les danseurs
Mise en scène – Etienne Cuppens
Création lumière – Christophe Olivier, Max Sautai
Réalisation costumes – Salina Dumay, Elsa Gérant

À voir à LaScierie à 13h10 jusqu’au 21 juillet.

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