Sur la Plaine de l’Abbaye de Villeneuve-les-Avignon, dans les cadres du Festival d’Avignon et du festival Villeneuve-en-Scène, Clara Hédouin et la compagnie Manger le soleil présentent Prélude de Pan une petite forme adaptée d’une nouvelle de Jean Giono, comme un prélude rétroactif à Que ma joie demeure, au programme de l’édition 2023. En déambulation dans les champs, et articulant les textes et la langue magnifiques du romancier provençal à des témoignages d’agriculteurs, le spectacle invite à une réflexion sur nos relations au vivant d’une manière qui exalte la simplicité, au théâtre comme dans la vie.
Les repas les plus simples sont parfois les meilleurs. Qui ne connaît pas le plaisir de manger quelques tranches d’un bon pain de campagne et un morceau de fromage acheté à la ferme, arrosés d’un broc d’eau bien fraîche ? Le genre de casse-croûte de fin de randonnée, qui rassasie le corps et l’âme. Et cela est vrai pour le théâtre également. Clara Hédouin l’a parfaitement compris. Son art est un théâtre qui se contente de peu, mais vibre d’une plénitude qui doit tout à sa simplicité. Deux ans après Que ma joie demeure, formidable randonnée théâtrale en milieu naturel qui avait marqué le festival, elle propose cette année Prélude de Pan, plus petite forme créée en 2021, durant l’écriture de Que ma joie demeure. Toujours en extérieur, elle poursuit ainsi son compagnonnage avec Jean Giono et son écriture infusée de soleil, de garrigue et de vie, transpirante de joie.
Quintessence du théâtre-paysage
Entouré·es du bruissement de tous ces vivants que nous appelons « nature », on ressent comme une évidence, et il n’est pas de cadre plus parfait pour faire résonner la langue de Giono.
Au programme à la fois du Festival d’Avignon et du festival Villeneuve-en-Scène, Prélude de Pan est l’adaptation d’une nouvelle fantastique du même nom parue en 1934. La metteuse en scène et les comédien·nes de la compagnie Manger le soleil nous invitent à une déambulation dans les champs et sous-bois de la Plaine de l’Abbaye, anciennes terres agricoles de l’agglomération avignonnaise, le long du Rhône en face de la cité des Papes. En cinq stations et autant de tableaux, Hatice Özer, Clara Mayer et Pierre Giafferi font le récit de la nouvelle, dont ils incarnent certains personnages : des signes annonciateurs du désastre, un étranger mystérieux qui arrive dans un village le jour de la fête votive, une dispute au sujet d’un oiseau blessé, puis un ensorcellement collectif qui débouche sur une orgie interspécifique. Un texte envoûtant, auquel sont entrelacés une scène de Que ma joie demeure, débat philosophique sur la joie, et des témoignages d’agriculteurs et agricultrices. Ceux-ci sont autant de fenêtres sur la réalité du métier et ses enjeux et débats actuels : agriculture productive ou bio, progrès technique ou retour à la paysannerie, augmentation ou diminution du nombre d’agriculteurs, diversification des cultures et des élevages, sécheresses et intempéries…

Partant du cœur du festival Villeneuve-en-Scène, dans une ambiance festive, nous nous enfonçons progressivement dans des milieux naturels plus éloignés de la ville – prairie, sous-bois, champ… Il faut parfois se frayer un chemin parmi les buissons et les ronces pour arriver à une clairière, ou trouver un espace plat sur le bord d’un fossé pour poser notre petit tabouret. Clara Hédouin ne réinvente pas le théâtre-paysage, mais elle en tire une forme de quintessence : une table, quelques chaises, des bouteilles en verre sont les seuls éléments de décor artificiel, rien besoin de plus. Son art de la mise en scène passe véritablement par le jeu avec l’environnement : ici c’est la profondeur de champ d’une prairie tout au bout de laquelle apparaît une silhouette, là ce sont des rangées de tournesol dans lesquelles disparaît complètement l’actrice, là encore c’est un grand arbre majestueux à l’ombre duquel on se poserait bien un instant et dont le feuillage invite à la discussion ; enfin c’est l’horizontalité de la ligne d’horizon sur trois plans superposés, le champ, la forêt et le ciel… Entouré·es du bruissement de tous ces vivants que nous appelons « nature », on ressent comme une évidence, et il n’est pas de cadre plus parfait pour faire résonner la langue de Giono.
Un théâtre pour les vivants
Prélude de Pan, en replaçant le théâtre au cœur du paysage, nous fait être traversé·es par lui autant que nous le traversons nous-mêmes.
Les vivants sont au centre du travail de Clara Hédouin et de la compagnie Manger le soleil, fortement influencés par la pensée de Baptiste Morizot – qui appelle à réinvestir notre sensibilité au vivant et à créer de nouvelles alliances avec les non-humains. Prélude de Pan s’inscrit parfaitement dans cette perspective, à la fois par sa forme qui, en replaçant le théâtre au cœur du paysage, nous fait être traversé·es par celui-ci autant que nous le traversons nous-mêmes, et par son contenu hybride. La nouvelle questionne la violence que l’on inflige au vivant : c’est parce qu’un bûcheron a brisé intentionnellement l’aile d’une colombe – « il lui avait enlevé tout le ciel » – que l’étranger ensorcelle le village et met tout le monde, humain et animaux au même plan. La scène de Que ma joie demeure interroge, elle, notre attitude philosophique sur le monde, la terre qui nous a faite autant qu’on l’a faite, et la joie animale qu’on peut trouver dans les moments les plus simples – « une seule joie et le monde vaut encore la peine ». La matière documentaire, enfin, met à jour les limites de notre modèle agricole et économique dominants face à ces enjeux environnementaux, et les choix de société que nous serons amenés à faire.
Articulant toutes ces dimensions avec une grande fluidité, Prélude de Pan témoigne une nouvelle fois du talent de Clara Hédouin à investir les espaces non-théâtraux, en proposant une œuvre dont la simplicité n’est jamais une facilité mais toujours une grâce.

Prélude de Pan
Texte – Jean Giono
Adaptation – Clara Hédouin, Romain de Becdelièvre
Mise en scène – Clara Hédouin
Avec – Hatice Özer en alternance avec Loup Balthazar, Pierre Giafferi, Clara Mayer
Régie son – Jérémie Tison
Coordination technique – André Neri
Administration / Production – Alice Ramond
Production – Collectif 49701 / Manger le soleil
Coproduction – Festival Les Tombées de la Nuit (Rennes), Pronomade(s) en Haute-Garonne Centre national des arts de la rue et de l’espace public (Encausse-les-Thermes)
Coréalisation – Festival Villeneuve en Scène, Festival d’Avignon
Avec l’aide de – Théâtre-paysage de Bécherel (piloté par l’École Parallèle Imaginaire), Bécherel / Festival Théâtre à Villerville
Avec le soutien de – DRAC Auvergne Rhône-Alpes
À Villeneuve-lès-Avignon du 8 au 20 juillet, dans le cadre de Villeneuve-en-scène et du Festival d’Avignon
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