En juin dernier, le Théâtre 13 accueillait 6 spectacles pour son prix de la mise en scène. Parmi eux, le spectacle Scélérates écrit et mis en scène par Aurore Frémont est programmé de nouveau les 12, 13 et 14 novembre prochain. La scélérate est une vague inattendue et immense qui se produit en pleine mer : le décor est scellé pour le plateau du Théâtre Glacière qui se mue en véritable ponton à toute épreuve. Cette odyssée en intérieur est une exploration autant externe qu’interne, et qu’est-ce qu’on voyage !
Une nouvelle vague
Un souffle, puis deux puis quatre suffisent à nous transporter immédiatement sur un ponton de bateau. En fond de scène, trois voiles flottent, elles s’ennuient sans tempête, et les quatre navigatrices aussi. C’est Juliette, la capitaine, qui a fait le choix d’embarquer ces trois autres femmes sur ce tour du monde, mais malgré le désir d’aventure, on sait que même Ulysse ne peut rentrer inchangé d’une si longue odyssée.

C’est dans ce contexte misogyne que la vague scélérate surgit, menaçante, inattendue et radicalement dangereuse pour le monde qui finit.
Les récits de voyage en mer, de piraterie et de découvertes sont presque exclusivement l’apanage des hommes. La grande misogynie ambiante dans le monde de la navigation en exclue les femmes – plus que cela, leur présence à bord est parfois encore considéré comme porteuse de malchance — et la première navigatrice à réaliser un tour du monde en solitaire, Isabelle Autissier, ne le fit qu’en 1991. C’est dans ce contexte que la vague scélérate surgit, menaçante, inattendue et radicalement dangereuse pour le monde qui finit. Le spectacle éponyme propose de se réapproprier ces récits traditionnellement masculins. Le jeu précis de Laura Chetrit, Rafaela Jirkovsky et Frédérique Voruz porte l’écriture d’Aurore Frémont qui navigue aisément entre les genres et s’amuse à les déjouer : entre récits d’aventure aux envolées exagérées de palpitation et romans d’amour à l’eau de rose —salée—, les quatre femmes nous font voyager aussi bien dans l’imaginaire que dans le genre. Et cela ne manque pas de décontenancer le vieux patriarche qui règne sur les flots.
Poséidon – dépression

L’imagination sied à cette traversée : de la mise en scène minimaliste qui permet de faire exister un bateau avec trois draps et une barre, au regard épouvanté des actrices faisant émerger un iceberg sous nos yeux… Alors pourquoi ne pas se mettre à croire aux vieille divinités grecques, après tout personne ne nous entend quand on est si loin des côtes. Apparement, les phénomènes météorologiques fantastiques ne sont pas les seuls mystères qui accompagnent la mer. Comment écrire sur la navigation sans faire mention de son dieu, Poséidon ? Mais voilà, Poséidon est dépossédé : face à ces quatre femmes qui se débrouillent bien mieux que prévu, il hésite presque à tirer sa révérence. Tour à tour, trois actrices incarnent la parole de ce vieux patriarche, véritable image de tous les loups de mers qui n’y croyaient pas, ceux qui font émerger le doute chez celles qui veulent renverser l’ordre établi. « Tribord, bâbord, au bord de tout » en effet, ce spectacle est une tentative pour bousculer les boussoles anciennes, il nous invite à nous mettre en danger.
Poséidon, véritable image de tous les loups de mers qui n’y croyaient pas, ceux qui font émerger le doute chez celles qui veulent renverser l’ordre établi.
Mais ce doute du dieu c’est aussi celui qui saisit l’intérieur même de celle qui décide de braver les mers hostiles : car la solitude est le lot du voyage, tant et si bien qu’on en vient presque à oublier son propre nom.
Tempête sous un crâne

Je ne raconterai pas ici la fin inattendue d’un spectacle qui mérite d’être vu, je ne m’intéresserai qu’à la symbolique que la question du nom soulève : il faut du courage pour renommer les choses dans un monde qui n’accepte pas sa caducité. En reposant la question du genre dans une situation aussi concrète que métaphorique, ce spectacle est une jolie traversée vers des terres nouvelles, une façon de se réapproprier notre agentivité. Une manière de rappeler que si plus de la moitié de la Terre c’est la mer, la moitié de l’humanité ce sont les femmes. Scélérates nous fait réfléchir autant qu’il nous amuse, c’est un souffle imperceptible qui enfle en véritable tempête sous un crâne.
Scélérates
Texte et mise en scène – Aurore Frémont
Avec – Laura Chetrit, Aurore Frémont, Rafaela Jirkovsky, Frédérique Voruz
Collaboration artistique – Guillaume Pottier
Création lumières – Geoffroy Adragna
Production – compagnie La Scélérate
Au Théâtre 13 les 12, 13 et 14 Novembre 2025
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