Journal d’Avignon : Incarner le seul·e en scène

La vie rêvée – Kelly Rivière

Nous avions découvert cette comédienne de talent avec An Irish Story, seule au plateau, elle incarnait tour à tour près de 25 personnages, pour nous conter avec humour et humanité sa folle enquête pour tenter de retrouver Peter O’Farrel, son grand-père maternel disparu. La vie rêvée reprend les mêmes ingrédients pour raconter cette fois-ci l’histoire de Kelly et son parcours pour devenir, enfin, comédienne.

Kelly Rivière est bluffante de précision. Elle interprète encore une fois une ribambelle de personnages, toutes les personnes qu’elle a aimées et qui l’ont accompagnée sur ce chemin noueux mais lumineux. Les personnages sont colorés mais enrobés d’amour, jamais à franchir le fil de la caricature. C’est un tourbillon de maitrise : passer d’une voix à une autre, d’un corps à un autre, du théâtre au chant, changer d’adresse, de registre, d’émotions. Tout est fluide, clair et semble être fait sans le moindre effort. La pièce ouvre sur la déception de Kelly de ne pas avoir pu s’épanouir dans une carrière de danseuse classique. Mais ses pièces sont cependant empruntes de qualités communes avec cet art : la maitrise, la suspension du temps, la pudeur de l’excellence et le sentiment de repartir en ayant volé du beau. Que la petite Kelly sèche ses larmes, elle danse aujourd’hui, et comme elle danse bien.

La vie rêvée de Kelly Rivière
Kelly Rivière, La vie rêvée – © Pauline Le Goff

Confession – David Van de Woestyne

A contrario, dans ce seul en scène, le comédien David Van de Woestyne incarne un unique personnage : celui d’un ancien président de la République, seul, face à son peuple. La pièce ne cherchera pas à ouvrir sur un ailleurs, mais au contraire, elle nous fait éprouver en temps réel le discours d’un puissant, ses moments de maitrise et son désir certain de fuir cette situation inconfortable. Confession (Confession d’un ancien président qui a entraîné son pays au bord d’une crise) est l’allocation fictive d’un ancien président de la République qui souhaite retracer ses mandats sous le signe de la vérité.

La scénographie d’Ana Kozelka et Samuel Danilo est très minimaliste. Il n’y a rien au plateau ou presque, l’unique élément de décor est un pupitre très officiel, transformé ensuite en prison ou miroir. David Van de Woestyne nous apparaît, vêtu d’un costard, prêt à se confier. Il se lance dans un discours, difficilement sincère, où « pardon » semble vraiment être le mot le plus difficile à prononcer. Le comédien est aussi juste que le discours est fuyant. David Van de Woestyne incarne avec ce qu’il faut d’aplomb pour rendre crédible ce personnage, mais cette situation si inédite, semble échapper par elle même au réel. Cela se traduit dans le jeu par des clignotements de styles, des éclats de bonhomie entrecoupés de tirades moralisatrices. Tel un animal en cage, David Van de Woestyne tourne autour de cette confession, qui semble-t-il, pourrait presque le tuer.

Le comédien nous fait parvenir très naturellement un texte pourtant complexe et terriblement universel. Si Confession fut écrit en 2012 par l’italien Davide Carnevali qui s’inspirait de la figure de Carlos Menem, on ne peut pourtant s’empêcher de faire des allers-retours avec l’actualité tant tout semble coller. Le pari de la compagnie de mettre en éveil les spectateur·ices et de les renouer avec leur sens critique est réussi grâce au jeu franc, et à l’écoute d’une grande finesse de David Van de Woestyne.

CONFESSION de Davide Carnevali
Compagnie Limitrophe, Confession – © Valerie Pico

Une chose vraie – Romain Gneouchev & Ysanis Padonou

Le seul·e en scène est la forme intimiste par excellence, c’est donc sans surprise que la notion de vérité, d’intime, d’aveu est un terreau très fertile dans les formes explorées par cette pratique. Une chose vraie est une aventure vertigineuse sur le chemin de la vérité. Ysanis Padonou nous reçoit sur un plateau nu, blanc, où sont posés ça et là quelques objets. La comédienne se présente comme atteinte d’une forme précoce de la maladie d’Alzheimer donc contrainte de jouer avec une oreillette où lui est soufflé le texte. Elle nous dit : « Je n’ai pas envie d’être victime de cette situation, mais actrice tant que je le pourrai. » Que pouvons-nous dire si ce n’est écouter ce témoignage si précieux et cruel.

Et puis, le miroir se déforme, la biographie devient auto-fiction ou bien l’inverse, on ne sait plus dans quelle mesure l’histoire est vraie. On échappe, puis retrouve la réalité, toujours aussi crue, seulement racontée autrement, par d’autres mots. Les mots sont empruntés, changés, adaptés, choisis. Ce seul·e en scène a la pudeur de la forme. Avec un décalage subtil, Une chose vraie, raconte notre rapport à la vérité, notre besoin de maitriser les récits à défaut de pouvoir tout maitriser.

Ysanis Padonou est magnifiquement guidée par la mise en scène et l’écriture d’une grande intelligence émotionnelle de Romain Gneouchev. L’actrice est flamboyante. Elle nous offre son talent avec une puissante douceur, un courage lumineux. Nous sommes bien évidemment ému·es à la sortie, mais pas seulement, nous sommes troublé·es, grandi·es. Nous éprouvons une immense gratitude de ce rappel, ô combien nécessaire, que la vie se fait dans l’instant, avec l’autre. On nous a soufflé à l’oreille l’essentiel, sans en abîmer ni sa dignité, ni son sens.

Une chose vraie de Romain Gneouchev
Romain Gneouchev & Ysanis Padonou, Une chose vraie – © Olivier Duverger Houpert

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