Accueilli pendant le Festival OFF Avignon dans les anciens jardins du Carmel, lieu de programmation hors-les-murs du Théâtre du Train Bleu, le solo de cirque sous yourte Un soir chez Boris de la compagnie D’un Ours trouve au milieu des arbres et des hautes herbes un consolant écrin dans la chaleur avignonnaise. Le circassien et comédien Olivier Debelhoir y campe le personnage de Boris, un trappeur solitaire qui, à l’aide de son accordéon, ses ami·es imaginaires et ses équilibres, nous plonge dans un vertige inattendu et nous renverse le cœur.
Chef d’une meute absente
Extérieur yourte – Intérieur cabane de trappeur : voici le refuge de Boris, casquette vissée sur la tête, cheveux longs et barbe de plusieurs semaines. Chez lui, trône Bonaparte, tête de sanglier enguirlandée, une télévision-cheminée, un frigo, un tableau de tricot, et presque rien de plus. Boris se parle à lui-même, se marmonne des petites consignes. Il a l’apparence du dernier homme sur terre, ou d’un présentateur sans audience.
La parole de Boris est singulière. Elle est presque initialement hostile et se meut au fil du spectacle en mots pour soi. Boris se raconte des histoires, s’entoure, parle peut-être à des fantômes et s’invente une galerie de personnages dont il sera le chef et à qui il distribue, en récompense, quelques barres chocolatées. Il détourne par tous les moyens le silence qui pourrait l’écraser.
Derrière son apparente simplicité, ce monologue saisit par sa richesse. Des noms de ses comparses imaginaires aux actions qu’il les fait mener, Boris tisse un conte d’une rare poésie, où tout s’entremêle et fait jaillir une langue nouvelle. Nous saisissons à la volée quelques épiphanies synonymiques mais ce n’est qu’une partie de tout ce qu’il y a à entendre, et de toutes les subtilités à décortiquer. On se laisse dérouter avec enthousiasme par ce soliloque aussi poignant qu’astucieux.
Triste fête
Chez Boris, nous sommes d’invisibles spectateur·rices invité·es à observer tout ce que cet homme crée pour masquer des blessures plus profondes. C’est de ce détournement que naît le cirque, comme un défi à soi. Boris fait feu de tout bois : les objets les plus insolites deviennent des agrès, lignes de fuite au milieu de cet intérieur sans horizon. Il surenchérit pour lui-même, absurdement. C’est du cirque du sensible, aussi étrange que les détours de nos pensées, qui porte en lui le tragique de la prouesse visée, qui assume sa bancalité. La singularité du spectacle tient toute entière dans ce traitement sensible et intime des techniques circassiennes.
Dans un final saisissant dont il ne faut pas trop dire, après s’être fait voler la vedette, Boris déploie toute sa profondeur et sa justesse alors même qu’on ne le regarde plus. Rendu complice de sa solitude, le public est invité à invisibiliser encore plus ce personnage que l’on finit par délaisser pour des saucisses cocktail et un verre de vin blanc. Quel étrange chavirement que de se retrouver témoin d’un déclassement : le personnage principal n’est plus, Boris fait partie des meubles.
Il nous reste encore sa jolie chansonnette, celle qui parle d’amour, la mélodie de son accordéon qui se fait plus grave, et sa voix lointaine et arythmique qui nous fait encore sourire. Devant ce tableau, pourtant, on se surprend à fondre en larmes. Boris nous laisse partir avec une générosité vertigineuse, après nous avoir offert quelques-uns de ses fantômes.
Un article de Émilie Ade et Marguerite de Hillerin
Un soir chez Boris
Conception – Olivier Debelhoir
Écriture – Olivier Debelhoir et Pierre Déaux
Interprétation – Olivier Debelhoir
À voir au Théâtre du Train Bleu à 17h45 jusqu’au 21 juillet.
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