Dans le spectacle Fora, la contorsionniste, chercheuse et autrice de cirque brésilienne Alice Rende nous invite à décoder les « récits secrets » du corps, et tout ce qui se cache dans nos postures et nos gestes. Lauréat du dispositif Circusnext dédié à l’émergence du cirque contemporain en 2023, le projet retrouve la scène du Théâtre de la Cité Internationale à Paris pour sa version longue, hypnotisante et bouleversante démonstration de libération par la contorsion.
L’art de la fugue
Empruntant à l’illusionnisme et à la danse, Alice Rende fait de la contorsion le récit d’une émancipation individuelle et politique.
On ne distingue d’abord qu’un reflet de visage, apparition timide dans l’obscurité imposante. Puis une main, une jambe. Enfin le tombeau qui étreint ce corps : une boîte en plexiglas, plus haute mais à peine plus large que l’interprète qui se trouve à l’intérieur. La contorsionniste Alice Rende déploie alors, avec autant de puissance que de sensibilité, ses tentatives répétées de fuite. Empruntant à l’illusionnisme – et plus particulièrement à l’escapologie, l’art de l’évasion – et à la danse, l’acrobate fait de la contorsion le récit d’une émancipation individuelle et politique.
« Fora », dans de nombreuses langues latines, cela signifie « dehors ». La consigne est simple : il faut se sortir de cette boîte, sans aucune autre aide que celle de ses propres mouvements. Si l’on craint au départ que le dispositif s’épuise vite, le spectacle finit par nous tenir en haleine du début à la fin : Alice Rende parvient à absorber le public dans cet étrange sarcophage, et à donner à chaque micromouvement une ampleur exceptionnelle. Avec une obstination et une grâce à la Pina Bausch, elle répète et recompose toutes ses tentatives d’évasion.
Laisser des traces

Loin de l’imaginaire lisse et délicat associé à l’art de la contorsion, Alice Rende en fait une pulsion organique, violente, nécessaire. Sur la vitre en plexiglas s’accumulent les traces de doigts, de pieds, la buée de sa respiration accélérée… Autant de marques de ses essais répétés, qui ne se cachent pas. L’interprète se joue aussi des codes en allant vers le grotesque, succédant les grimaces et déformations du visage par le contact avec cette paroi transparente, mais aussi vers le clownesque et l’absurde, lorsqu’elle se recoiffe avec les pieds ou qu’elle s’amuse sciemment de notre regard.
Tout le corps de la contorsionniste est secoué par un même objectif, celui de s’échapper. Le travail répétitif du geste s’accompagne de cris et de grognements, symptômes d’une frustration qui prennent au cœur. Ces échos sonores de la souffrance résonnent avec les crissements de ses mains et de ses pieds sur le plexiglas, qui donnent une couleur encore plus forte et presque horrifique à l’atmosphère sonore déjà très travaillée. Des bourdonnements métalliques, des bruits d’eau et de tuyauteries… L’ensemble crée une mélodie rauque et puissante, communiquant avec originalité avec les images au plateau.
Miroirs magiques
Il y a quelque chose de magique dans ce rapport entre ombre, lumière et transparence, piliers de nombreuses illusions d’optique.
Jeu de corps, jeu de sonorités, mais aussi jeu de lumières : centrale dans le spectacle, la lumière est la troisième interlocutrice avec laquelle Alice Rende dialogue sans mots. Elle suit les aléas de l’émotion, disparaît parfois aussi vite qu’elle est arrivée, et se joue aussi de nous et de notre perception : tandis que le corps de l’interprète se reflète sur le fond de scène, la boîte transparente, elle, ne se reflète pas. Dans l’ombre, l’interprète semble déjà hors du caisson, se débattant contre des parois imaginaires…

Il y a quelque chose de magique dans ce rapport entre ombre, lumière et transparence, piliers de nombreuses illusions d’optique. On peut par exemple voir son corps se détripler ou bien croire, à plusieurs reprises, que la contorsionniste tient en lévitation au centre de cet espace dont il devient difficile de confirmer la gravité. À la fois magicienne et assistante de magicien, Alice Rende entre et sort de ses propres boîtes. Car une fois que l’objectif est atteint, que le corps se croit libre, il faut en réalité tout réapprendre : c’est parfois plus simple – ou plus courageux ? – de trouver un autre écrin, une autre coquille, comme nous le dévoile la contorsionniste avec beaucoup de justesse.
Dans le très beau solo de cirque Fora, l’acrobate Alice Rende donne à l’art de la contorsion un caractère politique et poétique, en s’infusant autant de la prestidigitation que de la danse, et en dialoguant avec singularité avec la lumière et le son. Cet ensemble original marque par son authenticité et sa beauté, et fait du corps le lieu d’une bataille pour la liberté qui dépasse le seul cadre de l’intime.
Fora
Idée originale, conception et interprétation – Alice Rende
Création lumière – Gautier Devoucoux
Création sonore – Thomas Baudriller et Chloé Levoy
Conseils en illusionnisme – Andrea Speranza
Regard complice – Michel Cerda
Construction – Benet Jofre et Kob
Production et diffusion – Clémence Drack et Alina Yanikeeva
Du 13 au 20 mars au Théâtre de la Cité Internationale (Paris)
5 avril : Festival Avis de Temps Fort, Bagneux
10 avril : Mad Festival, Anvers, Belgique
Du 3 au 6 juin : Festival PERSPECTIVES, Saarbrücken, Allemagne
17 et 18 juin : Circ’Araau, Suisse
19 et 20 septembre : Festival Ipercorpo, Forlì, Italie
11 et 12 octobre : Anopia & La Folia Festival, Roeselare, Belgique
26 mars 2026 : Cirque Jules Verne, Amiens, France