Dans ta peau : une doublure de soi(e)

Une quête d’identité

Dans ta peau débute dans un appartement exiguë où se désole Sybille (interprétée par Léopoldine Hummel), une musicienne en plein chagrin. Basile, son compagnon et également le chanteur vedette de leur groupe de rock a mystérieusement disparu. Basile s’est volatilisé la laissant seule avec ses doutes. Une conteuse (interprétée par Garance Durand-Caminos) tisse la promesse de ce que nous allons voir :  » la tentative de raconter la vie de Phoenix ». Nous plongeons alors dans le biopic fictif et extravagant d’une star glam rock qui n’est personne et pourtant nous incarne toustes.

Sybille est présentée comme le personnage de la timidité. Elle est celle qui n’ose pas dire, celle qui marche sur la pointe des pieds. Privée de Basile, elle perd son repère amoureux et également le courage d’assumer sa carrière de musicienne. Pourtant, le corps de Léopoldine Hummel raconte complètement une autre histoire. Contrairement à ce qui est dit, Sybille n’est pas montrée hésitante, au contraire, elle est franche, entière et jusqu’au-boutiste. Même dans son autodestruction elle se laisse engloutir toute entière. La comédienne possède une aura puissante et franche qui ne nous laisse pas le choix que de la regarder. Aussi, commence une dissonance dans cette histoire d’identité, on sent que bouillonne en Sybille un feu créatif et singulier qui souhaite s’exprimer. Alors qu’elle devrait mettre fin à son histoire, elle ose écrire une suite bien différente. Derrière le miroir (central dans l’astucieuse scénographie signée Camille Duchemin) se dessine un autre visage. Tantôt vitre, tantôt miroir, Sybille devine les traits d’une autre identité intérieure. Cet autre (incarné par Romain Tiriakian) se présente d’abord par une voix puis dans le corps d’une créature homme-oiseau. Sybille ose alors suivre ce double de soi et se révèle derrière un masque.

© Alban Van Wassenhoven

Le masque de Pheonix

Après avoir déchiré le papier peint de son appartement, Sybille fait voler en éclat son identité. Derrière les murs se dévoile alors une scène détourée de néons et chargée de guitares, batteries, piano… C’est la naissance de Phoenix créature de talent, coqueluche de ses fans qui désespèrent de savoir qui se cache derrière ce masque.

Le nom Phoenix fait référence à l’inspiration principale de la pièce : Phantom of the Paradise, de Brian de Palma. Pheonix est en effet le nom du personnage féminin dans le film.
Mais le phœnix est évidemment l’oiseau qui renaît de ses cendres, Sybille peut alors renaître en devenant un autre. L’esthétique très Drag de la pièce prend son sens. Les costumes absolument somptueux d’Anna Carraud en collaboration avec Marnie Langlois et Tom Savonet sont un bonheur pour le regard. Leurs formes, leurs courbes, leurs textures poussent le rapport au réel et nous amènent à croire à un imaginaire plus grand.

Le piège de l’identité devient plus terrible avec la renommée. L’on perd pied dans le vrai, le faux, l’envie de croire en une vérité prémium. Le vedettariat ne peut se satisfaire d’un simple talent. Il devient une bête plus gourmande d’intimité et de petits arrangements avec le réel tant que l’histoire est vendeuse. Lorsque l’intervieweuse demande à Phoenix : « Comment avez vous vécu la révélation de votre identité ? » Sybille répond « comme une trahison ».
Pourtant Dans ta peau n’a de cesse de nous prouver que le talent est on ne peut plus suffisant. Les artistes au plateau : Garance Durand Caminos, Léopoldine Hummel, Baptiste Mayoraz et Romain Tiriakian, sont troublant·es de génie. Iels sont musicien·nes, chanteur·euses, comédien·nes, danseuses… Rien ne leur semble impossible et leur savoir-tout-faire donne une épaisseur sincère à cette histoire de carrière immense. Iels ont indéniablement en elle·eux du Pheonix.

© Alban Van Wassenhoven

Oser

Dans ta peau raconte surtout l’histoire d’oser créer quelque chose du néant. La metteuse en scène Julie Ménard confie qu’elle a mis 10 ans à écrire cette pièce avec Romain Tiriakian (compositeur). Oser assumer sa singularité est une quête plus intime et complexe qu’il n’y paraît. Surtout à une époque où nous sommes noyé·es dans un océan de comparaison, de déjà vu, créé, pensé, écrit, inventé… C’est alors d’autant plus touchant que Dans ta peau soit inspiré d’un œuvre. Une preuve encore que la même histoire peut être racontée d’une tout autre façon tant qu’elle se positionne avec authenticité. La pièce rend un bel hommage à cet acte d’affirmation de soi en s’assumant sans demi-mesure dans sa bizarrerie.

On pourrait très facilement retrouver Dans ta peau au rayon « inclassable » d’une bibliothèque. Sur l’heure et demi de spectacle on oscille entre pièce et concert. La musique devient un personnage à part entière et fait avancer l’histoire à son rythme. Lors des chansons on s’harmonise, en battant le tempo. On se reconnecte à l’histoire dans un rapport plus immédiat et impudique que permet la musique. Puis, lors des scènes de théâtre, on repart dans une aventure du mot avec un travail soigné, introspectif et très délicat.

Ce conte musical se finit sur une morale dont nous devons toustes nous emparer : il n’appartient qu’à nous d’oser. La conteuse termine l’histoire sur : « Maintenant c’est à ton tour de jouer ».
Cependant, la compagnie La Fugitive a la joliesse de ne pas en faire qu’une promesse vaine mais met en place des dispositifs astucieux pour que toustes puissent jouer. Un karaoké à la fin d’un spectacle, des ateliers de chant, d’écriture… Iels assument l’originalité et la créativité jusqu’au bout.

© Alban Van Wassenhoven

Dans ta peau est une fable sincère, hypnotisante où l’on perd nos repères et l’on se raccroche avec joie à tous les talents qui foisonnent sur scène. C’est une histoire Glam Rock qui met sous les projecteur et les paillettes l’envie d’oser. On est vraiment ravi·es que Julie Ménard ait osé !