Haribo Kimchi, de Jaha Koo

Haribo Kimchi : le goût du pays natal

Déplacements et cohabitation

Nous sommes dans les rues d’une grande métropole coréenne, peut-être Séoul. Sur scène, un petit stand, minuscule échoppe de street food locale, qu’on appelle pojangmacha. Dans Haribo Kimchi, présenté au Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’Automne, Jaha Koo reproduit ce décor typique de son pays sur la scène du théâtre, et invite avec soin et simplicité deux membres du public à venir s’y attabler. Tout au long du spectacle, il leur servira des spécialités locales : soju (alccol de riz), crêpe de kimchi… Ce repas partagé devient alors le cadre d’un tissage d’anecdotes déployé au fur et à mesure du menu, récit d’une expérience de l’exil et de la diaspora coréenne. Au rythme de ces récits, nous suivons Jaha Koo depuis son petit village d’origine à la campagne, à travers le souvenir des kakis et des feuilles de radis séchées, jusqu’à Berlin où il émigre, et où le suit partout le parfum de kimchi tel un fantôme familial, en passant par les fermes d’anguilles.

La cuisine constitue à la fois le point de départ et le fil rouge des anecdotes de Jaha Koo, mais entre celles-ci, le performeur fait chanter sur les écrans des êtres incongrus – escargot, ourson haribo ou encore anguille – à la voix articifielle. Ces intermèdes de pop acidulée expriment les sentiments et les mélancolies de l’humain qui n’appartient à aucun lieu, « en état de départ perpétuel ». En délégant l’expression de son ressenti à ces êtres non-humains, Jaha Koo nous permet d’opérer un décalage ludique et nous emmène entre la vallée de l’étrange et un animisme contemporain. Au fil du spectacle se dessine ainsi une amusante cohabitation avec ces êtres, de l’ami-animal (un escargot nommé Gona recueilli puis rendu à son environnement naturel), au compagnon méca-animal, cette anguille robotique transparente de toute beauté qui vient onduler sur le plateau. L’anguille devient la métaphore animée de l’être en migration mais toujours relié à son origine.

Haribo Kimchi, de Jaha Koo
©Bea Borgers

« On peut avoir plus d’un chez-soi »

Ainsi le petit stand de pojangmacha devient le lieu d’une forme-performance hybride, où le repas est à la fois le support de récits de vie et d’expérience et un moment de mélange, où se déconstruisent les frontières et les catégories : celles qui séparent les pays, les êtres, les formes artistiques ou encore la frontière entre scène et salle. Avec la grande simplicité et le sourire qui le caractérisent, Jaha Koo nous invite à une réflexion sur la façon dont l’identité de l’émigré se constitue en lien avec la cuisine et dont celle-ci devient le vecteur d’une culture fluide et mondialisée, pas plus décriée que célébrée. Dans sa dernière chanson, l’escargot délivre une maxime qui semble contenir en creux le sens du spectacle : « On peut avoir plus d’un chez-soi ».

Chaque soir, Jaha Koo recréé un petit chez-soi ambulant, image évanescente d’une culture en voie de disparition : les pojangmacha sont des « non-lieux, insaisissables et volatiles comme un liquide », chassées des rues depuis la pandémie, comme il l’explique dans l’interview de la feuille de salle. Mais ce petit chez-soi est ouvert : en nous invitant sur scène à picorer les restes du repas, nous permettant de goûter aux sensations épicées du kimchi, il reconstruit une hospitalité provisoire – l’exilé nous invite à manger.

Haribo Kimchi, de Jaha Koo
©Bea Borgers