Accueilli depuis vingt ans au Théâtre de la Cité Internationale, le dispositif circusnext – label européen pour la promotion du cirque de création décerné à des auteur·rices émergent·es pour la singularité de leur écriture – présentait les 12 et 13 juin ses compagnies lauréates. Quatre maquettes de vingt minutes de spectacles en cours de création, triés sur le volet, rivalisant d’agilité et d’ingéniosité.
Metaphoric Objects – David Martin

Inspiré par la poésie visuelle de Magritte, David Martin, jongleur français formé à Stockholm, nous invite à une drôle d’expérience : une série de petites séquences, qui semblent tout droit sorties de l’imagination d’un enfant, ici sublimées par les moyens nécessaires aux grandes idées. Un petit chapiteau mû par une force valsée, des otaries bien sages qui jouent avec un ballon de baudruche, une massue qui a peur de s’envoler, le salut d’une bande de cymbales… Sous forme d’hommages, ces petites fables invitent à déplacer le regard sur ces objets et entités « classiques » du cirque et de l’imaginaire collectif qu’on lui prête.
Loin des objectifs de surperformance qui collent parfois encore à la peau du cirque et notamment du jonglage, David Martin se fait passeur d’émotions, scientifique fou à la recherche du dosage parfait entre humour et sensibilité. Il s’efface presque devant ses « objets métaphoriques », pour leur donner toute la place qu’ils méritent et dévoiler leur agentivité. Avec douceur et humilité, le jongleur et ses deux acolytes tout aussi attachants virevoltent entre les messages secrets laissés par les « choses » inanimées qui nous entourent, dans un ensemble rythmé et joyeux dont l’univers nous embarque entièrement.
Ce(ux) qui reste(nt) – Cie Inéluctable (Marius Fouilland et Aimé Rauzier)

Dans la pénombre, un corps, puis deux, puis trois, puis quatre. Vêtus des mêmes costumes, deux duos se manipulent : ils semblent à la fois en lutte et dans une tentative de contact. Ça commence comme un fardeau, celui de porter un corps qui n’est pas le sien. On ressent très vite la violence de la perte, l’absurdité d’être ceux qui « restent » par rapport à ceux qui sont partis. Dans un habile jeu de manipulation marionnettique, Marius Fouilland et Aimé Rauzier dévoilent leur virtuosité acrobatique, jusqu’à semer le trouble : on peine longtemps distinguer le vrai du faux entre ces quatre corps hybrides.
Où vont les morts quand ils nous quittent ? Comment se défaire de ses fantômes ? La Cie Inéluctable s’empare de ces sombres thèmes avec une force saisissante. Cette recherche physique de désarticulation des corps est sublimée par une création lumière et sonore tout en échos, ceux d’un monde souterrain, d’un espace autrefois habité, du royaume du deuil. On retrouve des bribes du mythe d’Orphée et Eurydice dans cette lutte acharnée avec la mort, sans pourtant céder à l’accablement. Car la force vitale est toujours présente en arrière-plan, sous forme d’acrobaties salvatrices.
À travers ces quatre propositions particulièrement singulières c’est toute la vitalité, la poésie et l’exigence dramaturgique et politique du cirque d’aujourd’hui qui se donne à voir.
In Difference – Jef Everaert et Marica Marinoni
Une roue Cyr pour deux manipulateur·rices : Jef Everaert et Marica Marinoni se partagent, dans In Difference, cet étrange et imposant agrès, tentant de trouver un rythme commun à leurs pérégrinations. Dans un amusant ballet de bras et de jambes qui s’entrecroisent et se soutiennent, les interprètes se partagent l’équilibre précaire de ce cercle massif qui les entoure et les enserre à la fois. Progressivement, on s’essouffle, on se fatigue, on s’abandonne… Mais jamais en même temps, sinon tout s’écroule : Jef Everaert et Marica Marinoni jouent avec ces points de rupture, ces moments de suspension où l’un·e doit sauver l’autre de la chute imminente.

Les deux interprètes explorent avec tendresse et malice leur libre-arbitre, qui se confronte parfois à la nécessité de l’accord en duo : l’une s’empare de la roue pour sa fougue et son mouvement bouillonnant, tandis que l’autre lui préfère sa grâce et son équilibre. Dans une succession de tableaux ingénieux, Jef Everaert et Marica Marinoni examinent leur complicité harmonieusement chaotique, tout en laissant aussi pleine place à l’agrès lui-même de révéler sa propre autonomie poétique.
Ghetto – Cie Dissociée (Marcelo Nunes)
Un étrange maître corbeau, perché sur deux bouteilles de verre, nous accueille en silence. La scène est recouverte de morceaux de verre, peut-être les vestiges de toutes ces bouteilles autrefois pleines. Les reflets de ces débris donnent l’illusion d’un parterre d’or ou de paillettes. Dans Ghetto, Marcelo Nunes, clown triste et fakir, nous mène dans les méandres de la solitude et de l’addiction. Troquant ses bouteilles, qu’il brise d’un coup de marteau, contre le relatif refuge du trapèze, l’interprète finit par enlever ses chaussures et descendre, avec presque plus d’envie que de peur, confronter la plante de ses pieds à ce sol inhospitalier.

Clown des abîmes, Marcelo Nunes danse sur le verre brisé avec une joie enfantine qui saisit. Entouré de ses « richesses » dont il se couvre entièrement le corps, il est autant Crésus qu’un taureau en cage. Sa performance physique laisse sans voix : le rire émerge parfois, tant la douleur semble étrangère à ce fakir égaré. Marcelo Nunes nous plonge dans un poème visuel surprenant qui peine peut-être un peu à s’échapper de sa lourdeur, mais qui s’imprime avec force dans l’imaginaire.
En offrant une tribune à ces formes audacieuses encore en gestation, le dispositif Circusnext confirme son rôle essentiel de pisteur des talents de demain du cirque de création européen. À travers ces quatre propositions particulièrement singulières c’est toute la vitalité, la poésie et l’exigence dramaturgique et politique du cirque d’aujourd’hui qui se donne à voir : aux héritages assumés répondent les prises de risque, les esthétiques pluridisciplinaires et une autodérision salvatrice.
Les projets Lauréats circusnext 2025 :
Metaphoric Objects – David Martin
Ce(ux) qui reste(nt) – Cie Inéluctable / Marius Fouilland et Aimé Rauzier
In Difference – Jef Everaert et Marica Marinoni
Ghetto – Cie Dissociée / Marcelo Nunes
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