La revue Pleins Feux s’est rendue au Théâtre 13 / Glacière dans le cadre du Prix T13, Festival de mise en scène 2024. 6 projets étaient en lice pour remporter la palme, qui offre entre autre un accompagnement professionnel du projet sur un an. C’est finalement hamlet est mort – gravité zéro d’Ewald Palmetshofer mis en scène par Anaëlle Queuille qui a remporté le prix du jury.
Un Fil tendu
Lorsqu’on entre dans l’ovale molletonné de la salle du Théâtre 13 / Glacière on découvre sur la petite scène quelques rangées de chaises pour créer un quadri-frontal, rendant l’espace de jeu plus exigu encore. En son centre, un monticule de terre tranche sur le blanc immaculé du sol. La déambulation semble encore plus difficile. Les plus courageux·ses s’y aventurent, le reste du public se cache dans le confort des sièges rembourrés et du rapport traditionnel scène/salle. Si logistiquement l’espace ne s’y prête pas tellement, ce quadri-frontal ne fera que se justifier tout au long de la pièce. Le ring est dressé, l’air est épais, les fils sont tendus.
Tout dans Hamlet est mort – gravité zéro ramène aux mathématiques et à la géométrie. Tout d’abord le groupe des quatre personnages principaux : les frères et sœurs Mani et Dani et le couple Oli et Bine. Ces ami·es se connaissent depuis toujours, inséparables auparavant et chemin faisant, les dynamiques du groupe ont changé. Comme un rubix cube ayant épuisé toutes les combinaisons et éprouvé toutes ses faces, ils ont fini par se perdre de vue. Iels se retrouvent pourtant, par hasard, à l’enterrement d’un vieil ami Hannes, mort assassiné par son père de plusieurs coups de fusil.
Le quadri-frontal vient stopper cette face du carré, et ne lui permet plus de « changer d’axe ». Les personnages sont piégés dans ces retrouvailles morbides sans parvenir à rééquilibrer les rapports. La pièce devient alors une vaine tentative d’ordonner une pagaille, de retrouver une face lisse et unie ou à défaut de chercher à lui donner du sens.
Les personnages de Mani et Dani semblent incapables de mener leur vie. Iels vont tâcher tout au long de la pièce de comprendre le monde mathématiquement. Notamment avec le très beau monologue de Lorenzo Soumer, où il cherche à comprendre les liens de corrélations entre les évènements de sa vie. Il trace sur le sol blanc immaculé du plateau des points épars qu’une courbe régulière pourrait miraculeusement relier. Pour finalement s’apaiser de cette réalité du monde qui ne leur correspond pas, Mani et Dani finiront par résumer que le ciel est une machine qui distribue des numéros et que malheureusement, iels ne sont pas tombés sur les bons. Être un·e raté·e, c’est la faute à pas de chance.
Laboratoire d’humanité
Le sol blanc, l’espace bien délimité, les mots découpés donnent une drôle d’impression d’ambiance d’hôpital. Les personnages sont comme dans une boîte de Pétri où seront analysés leurs faits et gestes, leurs émotions, leurs principes, voire leur humanité.
Parfois jaillissent sur ce sol blanc des objets lourds de sens et de codes sociaux, comme le ballon rouge vif pour fêter l’anniversaire de la Grand-Mère bientôt centenaire. Pourtant la petite famille ne dresse pas un portrait idéal et la mélodie du joyeux anniversaire sonne faux. Les enfants, eux, doivent quitter la fête pour se rendre à l’enterrement de leur ami. La mère répète alors : « les vieux fêtent leurs anniversaires et les jeunes on les enterre ».
Sous microscope, les liens sont explosés. La mère, magnifiquement interprétée par Diana Sakalauskaité, s’engouffre dans une tirade souhaitant la mort de sa propre mère. Elle ne supporte que sa vie soit conditionnée à être l’aidante d’une vielle femme et souhaiterait être libérée de ce fardeau. Elle est persuadée que sa mère ne meurt pas exprès. Elle boucle alors sur cette absurdité « les vieux fêtent leurs anniversaires et les jeunes on les enterre », répétant la phrase encore et encore. Son monologue est en même temps libéré, il fait voler en éclat ses devoirs filiaux, il brise également le 4ème mur. Sa tirade commence par une prise de conscience du personnage qu’il doit parler uniquement à ce moment là parce que c’est son « top » et qu’inévitablement il doit donc s’exprimer. Pourtant ce n’est qu’une illusion de maitrise de sa condition. Au contraire, tout semble être figé. Tout au long de la pièce, des paroles reviennent inlassablement, une échappatoire est impossible comme le rappelle très justement la mise en scène d’Anaëlle Queuille. Elle fait piétiner l’actrice prise en grippe entre le public et l’amas de terre du centre de la scène.
Les comédien·nes s’adresseront directement au public très régulièrement. Ils chercheront à justifier leur narration, à expliquer leurs actions ou leurs inactions. Malgré la grande proximité avec la salle, nous spectateur·ices, ne sommes pas des confident·es. Peut-être des juges ou bien des scientifiques en pleine analyse des résultats d’une expérience sous vide. Les personnages pourront-ils reprendre en main le cours de leur vie ou sont-ils voués à le subir ?
Car à aucun moment du spectacle, un·e comédien·ne n’est en joie, ne rigole, ne sourit sincèrement. La direction d’acteur·ice est malgré tout très fine, bien que privée de tout un spectre d’émotion. Il y a beaucoup de rondeur et de souplesse dans le jeu des comédien·nes bien que contraint·es par la scénographie et la richesse du texte. Iels se hissent au niveau de virtuosité qu’exigent de telles tartinades de mots mais parviennent également à continuer de nous toucher dans leur mal de vivre. Les acteuri·ces portent grand la petitesse des personnages.
Tragédie contemporaine
On éprouve de l’empathie pour ces souris de laboratoire, tout particulièrement les frères et sœurs Mani et Dani qui semblent tout bonnement incapables de vivre. Les personnages ne semblent pas avoir de futur. Il est impossible de conter l’avenir, ni le présent qui est trop court et qui devient du passé tout de suite. Pourtant, ils trouvent une échappatoire dans des mécanismes et des procédés propres à la tragédie. La mère, d’un ultime fil de nylon tendu en haut des marches de l’escalier, assassine sa mère. Elle provoque l’accident de la vie, si courant, que rien ne laisse présumer à un meurtre. La vie porte en elle seule la violence suffisante.
Maintenant que l’action fantasmée à bien eu lieu, que le meurtre est commis, la géométrie de la pièce bouge une dernière fois. Les personnages sont comme happés par le centre du plateau. L’image finale est celle de Mani et Dani se déshabillant, pour se coucher au centre nus dans la terre. Les dernières répliques fusent, l’on devine que le frère est la sœur consument l’inceste, que leur père les tuerait à coups de fusil l’apprenant. On l’imagine, tout est diffus et volontairement insaisissable. L’image qui se construit sous nos yeux, nous renvoie à Boris Vian dans L’écume des jours :
Le jour même, Colin trouva un premier travail. Il s’agissait, dans une fabrique d’armes, de faire pousser des canons de fusil. Vous pratiquez douze petits trous dans la terre, répartis au niveau du cœur et du foie, et vous vous étendez sur la terre après vous être déshabillé. (…) . Alors, vous restez comme ça vingt-quatre heures et au bout de vingt-quatre heures, les canons de fusil ont poussé, on vient les retirer et vous recommencez.
Peut-être que ce sont des corps les plus mis à nus que naissent les plus grandes tragédies.
hamlet est mort – gravité zéro relève avec beaucoup d’assurance et de maturité le pari d’une mise en scène compliquée où le texte pourrait prendre toute la place. Cependant, Anaëlle Queuille a su le sublimer et le faire dialoguer par une mise en scène précise et une direction d’acteur.ices mûre.
hamlet est mort – gravité zéro
Texte – Ewald Palmetshofer
Traduction – Laurent Muhleisen
Mise en scène – Anaëlle Queuille
Dramaturgie et collaboration artistique – Céleste Combes
Avec – Fabrice Cals, Caroline Jacquemond, Anaëlle Queuille, Diana Sakalauskaité, Lorenzo Soumer, Pierre Besson
Lumières – Cécile Pierret
Son – Elvire Flocken-Vitez
Scénographie – Mathilde Juillard et Anaëlle Queuille
Cie Les évadé.e.s
Vu le 22 mai 2024, dans le cadre du Prix Théâtre 13, festival de mise en scène.
Spectacle lauréat du prix du jury.
Prochaines dates :
01 – 11 octobre 2024 – Théâtre 13 / Glacière, Paris
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