d'après la foudre, de sébastien chassagne et thibault segouin

d’après La Foudre : frappé par la foudre, touché par la grâce

Travail en cours

Sébastien Chassagne est un garçon au capital sympathie maximal. Il a des petites lunettes, la barbe rousse, la dégaine d’un personnage de bande-dessinée et l’air paumé d’un Peter Sellers désenchanté. Bref, on a envie de lui faire un câlin en lui disant : « ça va aller ». C’est à peu près ce qui se passe en nous après avoir vu d’après La Foudre, qu’il interprète en ce moment à la Maison des Métallos à Paris. Son personnage de grand ado fatigué, chaotique et sentimental, dont il propose une nouvelle variation dans ce spectacle, a encore touché juste.

© Maison des métallos

Reprenons au début de l’histoire : Sébastien (Chassagne) dîne avec Thibault (Segouin). Sébastien est acteur, Thibault est réalisateur. Sébastien va mal, il a des peines de cœur – comme d’habitude – et Thibault, qui a envie de passer une soirée joyeuse et voudrait bien éviter la lamentation des sentiments, le renvoie dans ses 22 en lui conseillant la lecture d’un livre : tu verras, ça va te faire du bien. Ce livre c’est La Foudre de Pierric Bailly, publié chez P.O.L. en 2023. Sébastien tombe raide dingue du bouquin : il se reconnaît partout (ah le pouvoir de la littérature !). Ça tombe bien, son copain Thibault, lui aussi tout à fait fan du roman, veut l’adapter en film (ah le pouvoir du cinéma !). Mais le projet tombe à l’eau, les droits d’adaptation ciné sont refusés au réalisateur… jusqu’à ce que, coup de théâtre (ah le pouvoir du théâtre !), on leur accorde les droits d’adaptation théâtrale du texte. Les deux acolytes décident alors de monter une adaptation libre (très libre) de La Foudre en y mettant tout d’eux, et surtout tout de leurs échecs : leurs fiascos amoureux et leurs revers professionnels, les rendez-vous manqués et les désillusions. 

Si je passe beaucoup de temps à vous raconter tout ça, c’est parce que Sébastien Chassagne le fait lui-même : d’après La Foudre est un spectacle qui se raconte et se retourne sans cesse sur soi, sa genèse et son processus de création. L’acteur est seul en scène, ainsi qu’au four et au moulin : en plus de signer l’adaptation du texte pour le théâtre, il joue tous les rôles, le sien (Sébastien Chassagne), celui du héros du livre (John-Julien), celui de l’ami du lycée du héros du livre qui a assassiné un chasseur à coups de planche (Alexandre Perrin), ses chiens (Flash et son acolyte dont le nom m’échappe), ses moutons (bêêêê) (car oui John-Julien est berger), la grand-mère de la femme de son ami du lycée qui a assassiné un chasseur à coups de planche (Mireille), celui du réalisateur qui finit par adapter le livre au cinéma (Thibault Segouin), son actrice principale (Noémie Merlant), son acteur principal (Sébastien Chassagne), lui-même donc, la boucle est bouclée. Et puis il joue de la guitare en carton, chante dans un micro, fait des doigts d’honneur, construit, détruit et reconstruit le décor, se change à vue et fait bouillir de l’eau. 

La forme proposée est toujours travaillée, faisant sans cesse des allers-retours entre la première personne et le roman interprété, voire toujours en travail tant il semble que le procédé est mouvant, changeant, soumis à l’ambiance de la salle et à l’énergie de l’interprète-metteur-en-scène-accessoiriste-décorateur. D’après La Foudre apparaît parfois comme un vaste work in progress, comme une étape de création, une expérimentation grandeur nature qui questionne constamment les possibilités de dialogue entre littérature, théâtre et cinéma. Il a manqué parfois certaines béquilles à la spectatrice que j’étais pour saisir tout ce qui était dit et tout ce qui était en jeu, néanmoins chapeau bas à l’artiste Sébastien Chassagne qui tient une scène et une salle en haleine, seul pendant 1h20, en se glissant avec aisance et brio dans un peu près tout : la drôlerie, la tendresse, les nuances d’un assassin, l’attente déroutée d’un amoureux abandonné. Alors, oui, au début du spectacle, pendant le spectacle et après le spectacle, on a envie de prendre Sébastien Chassagne dans ses bras et de lui dire : « ça va aller ».

Ce que ça dit du chaos de l’amour

La Foudre et d’après La Foudre, le roman et son adaptation à la scène, racontent le chambardement du monde après l’orage, ce qu’il reste, sur terre et dans les cœurs, après que le feu du ciel a fait son œuvre. Le spectacle commence comme ça : dans les ruines de la rupture, de l’arrachement, et se déploiera ainsi, pour mieux renaître de ses cendres, en de multiples phénix de mises en scène. Sébastien Chassagne évoluera tour à tour dans un décor – pourtant toujours le même mais toujours différent – de tribunal, de chalet, d’un appartement réunionnais, d’un plateau de tournage, d’un sommet d’une montagne. La mise en place fracassée des éléments de décor est un hommage au bricolage du théâtre, qui souvent doit faire ce qu’il peut avec le peu qu’il a, mais aussi à celui de la vie et des êtres, qui constamment doivent panser des blessures avec des outils eux-mêmes cassés et apprendre à vivre avec, à faire différemment, à construire du neuf avec du vieux.

Il est maladroit ce spectacle, un peu comme Sébastien Chassagne, et un peu comme la vie. Il est foutraque et chaotique et traversé de moments de grâce, un peu comme la vie aussi. On repense avec émotion au plaidoyer gauche et touchant d’Alexandre Perrin à la barre improvisée d’une tête de lit, vrai morceau de bravoure lors duquel le public, la respiration en suspens, écoutait religieusement la parole claire et juste de l’acteur-assassin. Il arrive parfois que le spectacle lui-même fasse le travail, lui aussi, de nous prendre dans ses bras et de nous dire : « ça va aller. »

Maladroit, foutraque, chaotique et sympathique, un quatuor gagnant d’adjectifs qui n’aurait pas déplu à Peter Sellers (oui, encore lui, mais Sébastien Chassagne pourrait candidater à un concours de sosies de l’acteur britannique) pour un spectacle qui emprunte à la fois à l’absurde, au burlesque, au stand-up, aux marionnettes, j’en passe et des meilleurs, et surtout qui donne envie de lire le livre dont il est adapté, et de voir le film qui devait adapter le livre. Ah, le pouvoir du théâtre !

© Maison des métallos

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