Pour cette vingtième édition de Village de cirque, le « festival de cirque sous toutes ses formes » mené par la coopérative De rue et de cirque, plusieurs spectacles investissent pendant trois semaines le 13ème arrondissement de Paris, en espace public et sous chapiteau, pour une expérience festive de fin d’été. Coup de cœur du festival : l’enchanteur Vilain Chien, dernière création de La Générale Posthume, pied-de-nez au cirque irrévérencieux, sensible et drôlement réussi.
Habituellement implanté sur la pelouse de Reuilly mais déplacé cette année en raison des JO, le festival se déploie au cœur du 13ème arrondissement, au sein et autour de RueWATT, la nouvelle fabrique artistique pour la rue, le cirque et l’espace public. La rue Watt, le Parc de Choisy et les Jardins des Grands Moulins accueillent cette année du 13 au 29 septembre une dizaine de spectacles et ateliers, des manifestations en grande majorité gratuite placées sous le signe de l’arpentage et de la réappropriation de l’espace public.
C’est la compagnie Cirque Queer qui a eu le plaisir d’ouvrir le festival avec sa création in situ Kermesse, deux représentations suivies d’un bal de clôture confié à ces artistes ingénieux·ses et bouleversant·es qui avaient déjà illuminé l’édition 2023 du festival avec leur premier spectacle Le Premier Artifice. Une première semaine inaugurée par une seconde compagnie, le Cirque de la Guirlande, avec son joli et intime Lueur, une expérience de cirque tout en douceur pour les plus petits, exploration de la bestialité entre jeux icariens et main-à-main.
VILAIN CHIEN – LA GÉNÉRALE POSTHUME
Le coup de coeur de cette 20ème édition, c’est Vilain Chien, la deuxième création de la compagnie La Générale Posthume fondée par Bambou Monnet et Elvis Buczkowski. Dans ce nouveau projet porté par Bambou Monnet et Théo Lavanant, le cirque se revendique indigne, impertinent, vilain. Au milieu des Jardins des Grands Moulins, entourés de tous les côtés par leur public, les quatre interprètes chantent les louanges des vilains chiens, de celles et ceux qui sont trop, ou pas assez, qui ne rentrent pas dans le moule, qui refusent d’obéir.
Le cirque se déploie ici sans agrès. Il investit les corps, à travers des séquences d’acrobaties au sol et des chorégraphies simples mais ingénieuses, qui ont presque quelque chose des sports de combat. Car cette absence d’agrès, elle est volontaire et revendiquée : « pas question de se faire un lumbago ou une hernie ». Mais n’est-ce pas pourtant ce que l’on attend des artistes de cirque ? Ne nous frottons-nous pas les mains de les voir prendre autant de risques ? Ici, dès que les acrobaties deviennent trop virtuoses, elles sont interrompues : les interventions de Bambou Monnet au micro, parodie cynique des présentateurs télé d’un temps plus ou moins révolu (« Oh ! Comme c’est beau ce qu’elle fait, là ! »), nous confrontent à notre regard dominant. Celui des maîtres qui, assis bien tranquillement, observent leurs toutous circassiens enchaîner des saltos et passer dans des cerceaux. De bons petits chiens. Mais ceux-là sont vilains, et c’est encore mieux.
Dans ce « spectacle-carnaval », pas de sauts périlleux ni de haute voltige, donc, mais une grande maîtrise de la théâtralité. Ces clowns pailletés nous ravissent de leurs bouffonneries, usant de leur technique physique pour se moquer de tout et d’abord d’elles et eux-mêmes. Et comme dans toute mascarade, on peut faire semblant d’être roi, se faire vomir des miettes et saigner des ballons. La Générale Posthume s’empare de cette liberté, mais ne cède à aucune gratuité : tout est précieusement travaillé et d’une grande générosité pour le public, hilare.
Dans cette merveilleuse indiscipline pluridisciplinaire, une musicienne multi-instrumentiste ravit nos oreilles d’interludes électros. Les chants polyphoniques s’invitent aussi, surprenantes notes de douceur et de poésie. Ce spectacle fait preuve d’un grand équilibre entre ses différentes inspirations, et parvient à nous saisir en tous points. Bambou Monnet, Théo Lavanant, Charline Nolin et Naïma Delmond ont la grandeur et de celles et ceux qui se prétendent vilain·es, mais qui parviennent pourtant à émouvoir. Cette « bâtardise » dont ils et elles se revendiquent semble être en réalité le symptôme de leur talentueuse originalité.
Des traversées
Juste à côté, on a retrouvé le merveilleux spectacle La Boîte de Pandore de la compagnie Betterland. Conçu et interprété par Marion Coulomb – découvert pour ma part avec déjà beaucoup d’émotion aux Rencontres d’Été de La Chartreuse, au Festival Avignon OFF 2023 –, ce seule-en-scène aborde avec justesse la question de l’intime et de l’enfance qu’on arrache. À l’aide d’une corde lisse, d’une guitare électrique, d’un petit théâtre de marionnettes et de couteaux aiguisés, l’artiste nous conte l’histoire d’une douleur mais aussi celle d’une libération.
Marion Coulomb ouvre la boîte de Pandore et fait de nous ses complices : pour lutter contre le viol et les traces de l’abject, il faut briser le silence, même lorsque cela nous paraît interdit. Avec beaucoup d’humour et de poésie, Marion Coulomb se réapproprie ce qui lui a été volé. Sur ce plateau de verdure qui redevient sa chambre d’enfant, elle affirme son identité, ses rêves, sa douleur, les choses qu’elle aime et les choses qu’elle n’aime pas, les choses qu’il ne faut pas dire et surtout les choses qu’il faut dire pour ne plus jamais refermer les boîtes de Pandore.
Dans l’écrin de ces jardins, on a pu également plonger en pleine mer grâce à Fortuna, la nouvelle création du chorégraphie Piergiorgio Milano dont le langage et les images aux frontières du cirque, de la danse et du théâtre nous emmènent au creux d’un « naufrage à l’envers ». Une traversée poétique accompagnée de paroles et de chants, dans laquelle trois interprètes évoluent en équilibre sur une structure rappelant les mâts et poulies d’un voilier agité.
Pas très loin de là, au Parc de Choisy, la compagnie Basinga a exalté elle-aussi les imaginaires avec Soka Tira Osoa, performance participative de funambulisme musical, expérience collective du temps suspendu dans le ciel.
Cette saison encore, le festival Village de cirque a su réunir des artistes profondément originaux, aux propositions traversées d’un vent de liberté ébouriffant. Un tourbillon de cirque qui s’est répandu dans la ville, éphémère certes, mais dont l’herbe et le bitume garderont trace des murmures.
À DÉCOUVRIR ENCORE CE WEEK-END :
- BitByBit, le duo de Simon et Vincent Bruyninckx (collectif Malunés), en collaboration avec la cie MOVEDBYMATTER, qui livrent un formidable portrait de leur lien de frères et d’artistes fondé sur l’équilibre, parsemé de pieds de nez au danger et d’acrobaties prodigieuses. Reliés par des câbles dont ils gardent l’extrémité en bouche, serrant les mâchoires, Simon et Vincent Bruyninckx se toisent du regard d’un bout à l’autre d’une longue planche de bois. Dans un joyeux masochisme, ces deux pirates se soumettent sans cesse au supplice de la planche, et sont l’un pour l’autre à la fois tortionnaires et sauveteurs. Les deux acrobates explorent cette zone trouble et fascinante du déséquilibre, cette seconde qui précède la chute et qui met tout un public en tension. Ébahi·es par ces prises de risque, nous retenons notre souffle à chacun de leur pas et nous laissons plaisamment traverser par le contagieux frisson qui les anime.
Vendredi 27 et samedi 28 septembre à 20h30, dimanche 29 septembre à 18h au Parc de Choisy
- En Finir, le podcast vivifiant de Johan Swartvagher, récit de sa préparation d’un marathon jonglé en dix épisodes (diffusés entre octobre 2023 et juillet 2024). Ici sous forme de « pièce radiophonique pour transat », pour profiter en toute détente de cet ovni sonore, entre gouttes de sueur, rythme ternaire du lancer de massues, anecdotes absurdes, poésie du quotidien et mémoire d’un dépassement.
Vendredi 27 et samedi 28 septembre à 18h au Parc de Choisy
- La poésie funambule d’Inertie, une performance dans laquelle les deux artistes de la compagnie Underclouds déambulent avec habileté sur une imposante sculpture mobile aux airs de « toupie échouée ».
Vendredi 27 et samedi 28 septembre à 19h30, dimanche 29 septembre à 17h au Parc de Choisy
Village de Cirque, un festival mené par la Coopérative De rue et de cirque – du 13 au 29 septembre 2024
KERMESSE – CIRQUE QUEER
Avec : Marthe, Andrea Vergara, Simon Rius, Mona Guyard, Jenny Victoire Charreton
Accompagnement mise en scène et écriture : Sandra Calderan
Technique : Kazy de Bourran, Julia Malabave, Loïse Mare
LUEUR – CIRQUE DE LA GUIRLANDE
Écrit par et avec : Augustin Mugica et Zoé Ballanger-Mugica
Avec le regard complice de : Geneviève de Kermabon
Regard sur la lumière : Carine Gérard
Costume : Irène Bernaud
Diffusion : Natacha Ferrer
VILAIN CHIEN – LA GÉNÉRALE POSTHUME
Auteur·e·s et corps en scène : Bambou Monnet, Théo Lavanant et Charline Nolin
Création sonore et musique live : Naïma Delmond
Conception / retouches costumes : Laurine Baudon
Regards complices : Idriss Roca, Marc Prepus, Elvis Buczkowski, Raphaël Billet, Victor Hollebecq et Pablo Manuel
LA BOÎTE DE PANDORE – CIE BETTERLAND
Ecriture, interprétation et dessins : Marion Coulomb
Mise en scène et photographies : Pépita Car
Régie son / lumière / plateau : Léa Sallustro
Oreille extérieure : Thomas Caillou
Intuitions multiples : Gilles Cailleau
Création lumière : Christophe Bruyas
Costumes et accessoires : Magali Leportier
Concepteur portique : Franck Breuil
FORTUNA – PIERGIORGIO MILANO
Idée, chorégraphie et direction : Piergiorgio Milano
Interprétation : Viviane Miehe et Piergiorgio Milano
Musique, chant et voix : Steeve Eton
Costumes : Carine Grimonpont
Construction structure : Florian Wenger
Surveillance structure : Luis Schwartz
Scénographie : Vienna Brignolo, Piergiorgio Milano
Lumières : Alberto Ciarfardonie
Avec l’aide de : Florent Hamon
Merci à : Mad Beltrami, Claudio Stellato
SOKA TIRA OSOA – CIE BASINGA
Direction artistique : Tatiana-Mosio Bongonga et Jan Naets
Funambule : Tatiana-Mosio Bongonga
Direction technique : Jan Naets
Musiciens : Djeylaroz, Adrien Amey, Lovisa Elwerdotter
Riggers : Gaël Honegger, Simon Pourqué
Régisseurs son : François-Xavier Delaby ou Geofrey Durcak
Création costumes : Louisa Gesset-Hernandez
BITBYBIT – COLLECTIF MALUNÉS / CIE MOVEDBYMATTER
Conception : Simon Bruyninckx, Vincent Bruyninckx et Kasper Vandenberghe
Interprétation : Simon Bruyninckx et Vincent Bruyninckx
Direction artistique : Kasper Vandenberghe
Dramaturgie : Matthias Velle
Musique : Dijf Sanders
Costumes : Johanna Trudzinski
Regard extérieur : Esse Vanderbruggen
Lumières : Duris & Benjamin Eugène
Son : Anthony Caruana et Sofia Zaïdi
EN FINIR – JOHAN SWARTVAGHER
Accompagnement à l’écriture : Agathe Dumont
Prise de son, montage : Annely Boucher
INERTIE – CIE UNDERCLOUDS
Avec : Chloé Moura, Mathieu Hibon
Sculpture : Ulysse Lacoste
Regard extérieur : Vassil Tasevski
Composition musicale : Valentin Mussou
Univers sonore & Spatialisation du son : Sylvain Nouguier
Costume : Delphine Delavallade