Pour l’ouverture de la nouvelle Scène Maria Casarès à Poitiers, Matthieu Roy livre une adaptation de la célèbre correspondance amoureuse de la tragédienne avec Albert Camus, sans fioritures mais émouvante, à l’image de l’écriture épurée de l’écrivain.
Maria retrouvée
Au bord du Clain a ouvert en Septembre dernier un nouveau lieu dédié à la comédienne Maria Casarès, « Petite sœur « de la Maison à son nom située à Alloue où elle se réfugia après le décès brutal de Camus. C’est donc l’histoire d’amour entre les deux artistes que les habitant.e.s de Poitiers et d’ailleurs sont invité.e.s à écouter dans d’anciennes écuries (magnifiques) de la caserne de Montierneuf dont les arcades de pierre font résonner la pureté des phrases de Camus mais aussi et surtout l’humour incisif de Maria Casarès.
Car si l’étoile de la tragédienne, monstre sacré de la Comédie Française, du TNP et du petit écran, a pu pâlir auprès des jeunes générations en raison de l’éclat persistant de celle de Camus, le spectacle de Mathieu Roy a pour grand mérite de la replacer au premier plan en sélectionnant, parmi les quelques 866 lettres échangées pendant 15 ans, celles qui mettent le mieux en valeur la personnalité́ et le talent de cette femme qui, bien qu’elle aimât ardemment Camus, ne s’en laissa pas conter pour autant. Aux lettres pressantes et jalouses de l’écrivain séducteur, joué par Brice, Carrois, à la fois empli de doutes mais prompt à se montrer (très) satisfait de lui-même, Maria Casares répond donc avec une vivacité tendrement railleuse, remarquablement incarnée par Johanna Silberstein, déclenchant les rires de l’auditoire pas mécontent que l’idole littéraire soit (un peu) malmenée.
Une douleur muette
Sous les phrases souriantes et caressantes sourdent toutefois les non-dits : la femme de Camus passée sous silence et le manque ressenti par les deux amants dans un quotidien matérialisé seulement par quelques meubles suggérant un bureau, une chambre et un jardin où les comédiens se déplacent en miroir comme dans une maison qu’ils auraient pu habiter ensemble, se frôlant parfois sans jamais se rejoindre, jusqu’à la lecture poignante de la dernière lettre de Camus annonçant à l’aimée son arrivée prochaine par une virée en voiture avec Michel Gallimard qui lui sera fatale. Sur cette fin terrible, le spectacle laisse tomber un grand silence et un voile digne et pudique comme son héroïne soudain silencieuse, en ne cédant pas à la tentation de l’illustration (à l’exception d’un seul extrait d’archive de la voix de Maria Casarès évoquant Camus en guise d’épilogue), autant par fidélité au tempérament de la tragédienne, que par souci, peut-être, de se démarquer d’autres mises en scène comme celle d’Elisabeth Chailloux à Avignon en 2021, Camus-Casarès, une géographie amoureuse, dont le projet étant d’inscrire cette longue relation dans les tourments de l’histoire et ses archives.
On pourra néanmoins arpenter la géographie intime de Marie Casarès lors du festival d’été de la Maison Maria Casarès grâce à une balade sonore joliment intitulée Fragments d’autre : la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus dans les jardins d’Alloue où l’endeuillée et sa douleur muette se recueillirent jusqu’à sa mort en 1996.
La correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus
Spectacle suivi d’un apéritif jusqu’au 23 juin à la Scène Maria Casarès, Poitiers.
Mise en scène – Matthieu Roy
Avec – Johanna Silberstein et Brice Carrois
Prochaines dates :
22 juillet – 16 août – Festival d’été de la Maison Maria Casarès, Alloue (Charente)