Le Roi, la Reine et le Bouffon, de Cécile Coullon au Prix Théâtre 13

Le Roi, la Reine et le Bouffon : crise de conte

Pleins Feux suit avec intérêt la programmation du Prix du Théâtre 13, une entreprise de longue haleine qui développe sur un an un concours de jeunes projets en création. Le mois de juin sonne le dernier tour : la présentation des projets au public… Ce soir, nous assistions au spectacle Le Roi, la Reine et le Bouffon, un conte sous forme de farce burlesque mené haut la main par Clémence Coullon et son équipe.

L’histoire des histoires

S’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark, il semble en être de même au royaume des contes de fées. On retrouve dans le travail de Clémence Coullon une interrogation qui traverse beaucoup de créations contemporaines : peut-on encore raconter des histoires ? Et si oui, sous quelle forme ? La pièce s’ouvre avec le personnage de la Conteuse, hilarante et tragique dans sa façon de chercher le bon angle sur scène comme dans l’attaque de son discours, pleine d’hésitations et de grands jeux de manche – au propre comme au figuré. « Je suis une conteuse qui n’a plus l’art de conter », nous répète celle qui s’affirme en pleine « crise de doute ». Le « il était une fois » peut-il encore garder sa force performative ?

Il est vrai que la pièce de Clémence Coullon ne raconte rien, ou pas grand-chose. Ce conte nous apparaît comme désossé, réduit à sa structure apparente, et se faisant comme l’écho lointain de motifs reconnaissables : un roi et une reine très méchants, un bouffon persécuté, un jeune roi usurpé à qui on a caché sa haute naissance, une langue coupée, un banquet, des pommes qui resurgissent çà et là. Il y a des traces, mais rien ne se développe vraiment. On navigue dans cet univers vaguement familier peuplé de personnages tout de blanc vêtus, comme des pages non écrites d’une histoire impossible à reconstruire. Même au royaume des contes, c’est l’ennui qui gagne : le Covid est passé par là, et on retrouve discrètement le motif de l’enfermement prolongé, de la maladie et d’un certain « nous sommes en guerre » qui vient ponctuer ironiquement les dialogues. Les trois personnages sont pris dans un huis-clos où rien ne peut plus advenir, et où il est même quasiment impossible de mourir. Le seul jeu possible, c’est celui de faire et défaire à l’infini les relations de pouvoir et de domination, en mettant à nu tout l’arbitraire et la cruauté de ces rouages.

Les monstres au pouvoir

Mais si la pièce ne raconte rien de particulier que cet ennui abyssal qui rend caducs les talents de la Conteuse et pousse les personnages dans leurs retranchements, elle explose par ailleurs dans une théâtralité jouissive, foutraque, grotesque, jubilatoire. Nos trois antihéros névrosés promènent sur le plateau des corps tordus et dégingandés qui font penser aux bizarres créatures du Munstrum. On saute d’une valse monstrueuse à un suicide, en passant par plusieurs coups de fusil, des verres cassés, des courses-poursuites et des résurrections. Les quatre magnifiques acteur·ices mènent tambour battant cette farce qui tient du bouffon et du clown, et nous rendent extrêmement sympathique ce combat désespéré contre l’ennui. Le théâtre et le conte s’y débattent pour survivre envers et contre tout, et on a envie d’y croire, et de suivre leur énergie contagieuse. Malgré l’angoisse très beckettienne qui louvoie dans les interstices – « rien ne se passe ici », répète la méchante Reine – on adhère tout du long à cette vivacité du désespoir. Ces trois-là se battront encore longtemps pour tenter de signifier quelque chose, même s’ils doivent s’entretuer à l’infini. Étrangement, c’est assez réconfortant. On souhaite longue vie à cette équipe de doux dingues, récompensés du prix du Public.

Le Roi, la Reine et le Bouffon
Écriture et mise en scène – Clémence Coullon
Avec – Tom Menanteau, Clémence Coullon, Guillaume Morel, Myriam Fichter

Vu le 4 juin 2024 dans le cadre du Prix Théâtre 13.

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