Ouverture, de Géraldine Chollet, pièce pour danseur·euses et public cheminant, dans le Cloître de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, au festival d'Avignon

Ouverture : chemin de douceur, expérience mystique

N’en déplaise à la Cour d’Honneur, il n’est sans doute pas d’espace plus beau, ni plus immédiatement magique, où voir un spectacle du festival que le cloître de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, qui plus est au crépuscule. Nous n’y entrons pas seuls : quelqu’un·e nous accueille à l’entrée, un·e interprète de la pièce qui nous prend par le bras, tout en douceur, et entame un dialogue. Il ou elle s’y présente et nous dit à quoi nous attendre : pour ce spectacle, Ouverture de Géraldine Chollet, sous-titré « Pièce pour danseur·euses et public cheminant », nous sommes donc invité·es à marcher en cercle sur l’herbe, suivant le fil lumineux d’une guirlande tendue au-dessus de nos têtes, seul élément de décor autre que le cloître. Première ouverture que cet accueil tendre – ouverture à autrui, dans une simplicité qui immédiatement provoque une respiration de nos pensées recluses –, redoublée de l’ouverture transcendante du cloître sur la nuit provençale.

Rituel, méditation et esprits

À la fois tous·tes ensemble et chacun·e à son rythme, nous nous mettons ainsi en chemin sur l’herbe du cloître que l’on peut fouler pieds nus, au son d’une clochette qui rappelle la transhumance alpine des troupeaux. Géraldine Chollet raconte s’être inspirée de ses racines paysannes et religieuses, d’un rituel suisse pré-chrétien autant que du théâtre des mystères. Dans ce cheminement collectif, on retrouve effectivement quelque chose d’un rituel : cyclique et partagé. Logé dans la Chartreuse, celui-ci prend une dimension quasi-monastique, qui nous plonge dans un état méditatif. Les quatre danseur·euses, Mélissa Guex, Éléonore Heiniger, Bast Hippocrate et David Zagari, évoluent tantôt au centre du cercle, tantôt au sein même du flux, tantôt enfin à l’extérieur de celui-ci.

Iels commencent par des postures immobiles – un pas figé en pleine action, un repos contre le dos d’un·e ami·e –, statues qui agissent à la fois comme contrepoint au déplacement du public, et dans le continuum de celui-ci, comme si l’immobilité était en réalité du mouvement à la fréquence imperceptible. Quand progressivement, iels se mettent en mouvement, celui-ci est sensible et organique, habité d’émotion, et se déploie par va-et-vient de la périphérie du cercle en son centre, comme de vastes respirations. Les gestes y sont simples, doux, et les corps habités, que la création sonore de Renée Van Trier mixée en direct par Raphaël Raccuia, accompagne d’une nappe hypnotique aux pulsations entêtantes. Immergés dans ce rituel entre chien et loup, les interprètes deviennent des êtres au statut incertain, entre guides, ami·es, compagnons et esprits de la nature. Le tout crée un moment hors du temps, et une connexion renouvelée au cosmos.

Ouverture, de Géraldine Chollet, pièce pour danseur·euses et public cheminant, dans le Cloître de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, au festival d'Avignon
© Pascal Gely / Hans Lucas

Élan commun, expérience mystique

Nous marchons donc sans nous arrêter, et cette mise en mouvement géniale déplace complètement la perception habituelle d’un spectacle de danse. Comme un·e randonneur·se, on se met à être attentif à la topographie du terrain sous la plante de nos pieds, et sa légère déclivité guide nos cercles d’un rythme régulier, tel le retour des saisons. Partageant le même espace, nous côtoyons les danseur·es de plus près que dans un dispositif classique : nous croisons leurs regards, leurs sourires ; iels nous frôlent et nous sentons leur souffle, les gouttes de sueur qui leur perlent au front, et l’air que leurs mouvements déplacent. Jamais fixe, notre focale se déplace en permanence, observant autant les interprètes que le ciel et les alentours, attentifs à l’accidentel qui ne manque pas de surgir, ce soir sous la forme d’un chat funambule sur les toits du cloître. Dans les couloirs de celui-ci, on découvre soudain la déambulation d’étranges fantômes, qui ancre encore plus la pièce dans une dimension fantastique et mystérieuse.

Enfin, en nous mettant en mouvement, Géraldine Chollet fait plus que recréer un commun immémorial à notre échelle, elle active notre corps : il n’y a plus d’une part des danseur·euses qui bougent et de l’autre un public assis et statique, nous participons d’un même élan. Iels dansent, je marche, nous nous mouvons, nous sommes (é)mus. Et mon corps sollicité ainsi se retrouve, dans une ouverture à soi-même, traversé de sensations et d’émotions qui affleurent sans crier gare, jusqu’au bord des larmes.

Après un final, au son d’une voix et d’une guitare électrique, aussi simple et réconfortant qu’intense et chaleureux, c’est la fin du chemin, chacun·e s’arrêtant quand il·elle sent le moment venu… Mais l’ouverture ne veut pas finir, le silence perpétue la contemplation. Et il semble que les applaudissements font partie de la performance : personne ne salue, public et artiste confondus dans le cercle font résonner dans la nuit l’écho de leurs mains. Bien nommé, ce spectacle ne referme aucun espace, et ne se clôt pas, mais semble par sa simplicité ouvrir au-delà de sa forme même à des perceptions, des gestes et des possibles à incarner. D’une beauté tendre, rare et inouïe, Ouverture est, plus qu’un spectacle, une expérience extraordinaire et mystique ; une du genre inoubliable.

Ouverture, de Géraldine Chollet, pièce pour danseur·euses et public cheminant, dans le Cloître de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, au festival d'Avignon
© Pascal Gely / Hans Lucas


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