Reencanto, de Mayra Andrade

reEncanto : une chambre d’écoute dans la pierre

Avec Reencanto, Mayra Andrade et le guitariste Djodje Almeida ont transformé la Cour d’honneur du Palais des Papes en une chambre d’écoute intime, suspendant le monumental par une présence discrète et retenue. Sans effets ni démonstration, ils ont ouvert un espace d’attention partagée, où voix, silences et langues circulaient librement.

S’asseoir pour changer l’écoute

Dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, Mayra Andrade est entrée sans fracas. Elle s’est installée dans un fauteuil, aux côtés du guitariste Djodje Almeida, et elle y est restée. Presque immobile, presque silencieuse. Ce geste, d’une grande simplicité, a suffi à transformer le lieu. La verticalité du monument s’est inclinée, comme pour épouser ce mouvement de retrait. La scène ne s’est pas agrandie : elle s’est repliée, comme une paume. Le concert a pris la forme d’un échange calme, enveloppant, comme dans une petite pièce aux murs de pierre, retirée quelque part dans la ville. Une chambre d’écoute, plus qu’un théâtre.

Voix basse, langues mêlées

L’espace autour d’elle restait ouvert, traversé d’air et de souffle. Rien de forcé, rien de projeté. La voix, souple et posée, suivait son propre rythme. Elle passait librement d’une langue à l’autre, portugais, créole capverdien, français, sans marquer de transition, sans chercher l’effet. Aucune ne prenait le dessus, aucune ne servait d’ornement. Leur enchaînement composait une matière continue, un tissu de souffle et de sens. Ce multilinguisme dessinait une écoute en mouvement, fluide et poreuse.

Tension douce, dialogue suspendu

© Christophe Raynaud de Lage

Le duo formé avec le guitariste Djodje Almeida prolongeait cette esthétique de l’effacement. Rien n’était démonstratif, tout était écoute. Il lançait une variation, elle attendait ; elle entamait une phrase, il la suspendait. Leur échange dessinait une ligne de tension discrète, presque imperceptible, mais toujours tenue. Et pourtant, sous ce calme apparent, circulaient une énergie vive, une détermination joyeuse. Quelque chose dans les regards, les silences assumés, les relances souples laissait passer un humour à peine souligné, une connivence souriante. Une forme d’improvisation contenue, sans débordement, mais intensément habitée.

Un souffle lancé, mille voix en retour

Autour d’eux, le public semblait accordé à cette manière d’être là. Peu de gestes, peu de toux. Un ralentissement s’est installé, comme un consentement collectif à cette temporalité étirée. Mais cette écoute n’avait rien de figé. Par moments, Mayra Andrade lançait un simple son qu’elle s’amusait à distordre, à faire glisser, à étirer à chaque reprise. Le public entrait sans hésiter dans ce « call and response » minimal et ludique. Ce qui surprenait, c’était justement la facilité de cette adhésion. Aucune injonction, aucun effet d’animation : juste une invitation espiègle, et déjà, des voix répondaient, dans une vague discrète mais vive. Ce jeu de sons créait une complicité immédiate, une générosité réciproque, joyeuse, presque physique. L’écoute devenait partage, le silence, un appui.

Un murmure de source

Il y a des voix qui traversent la scène sans jamais s’y poser. On ne les entend pas finir, on les suit. La voix de Mayra Andrade semblait couler ainsi, dans une continuité sans tension, sans rupture, comme si elle prolongeait quelque chose de plus ancien qu’elle. Jules Lemaître, parlant de Sarah Bernhardt dans Phèdre, évoquait « un murmure ininterrompu de source ». Cette image me revenait en écoutant ce concert : non pour dire la majesté, mais pour désigner ce fil, ce flux, cette matière sonore toujours en mouvement, toujours reliée.

reEncanto

Avec Djodje Almeida (guitare), Mayra Andrade (voix) 
Texte et musique – Mayra Andrade 
Scénographie – Carla Martinez Beunza 
Son – Sergio Milhano
Lumière – Nuno Salsinha 
Costumes – Sian E M Jones
Administration, production, diffusion – Etienne Ziller, Asterios Spectacles 
Production – Asterios Spectacles 
Représentation en partenariat avec France Médias Monde 
reEncanto initié en 2022, fait le tour du monde depuis et a donné lieu à un enregistrement en live au London Jazz Festival. 

Présenté dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, dans le cadre du Festival d’Avignon le 12 juillet 

Tous nos articles sur le Festival d’Avignon.