Woke a marqué la rentrée du Théâtre Public Montreuil en signant le retour tant attendu de Virginie Despentes à la mise en scène après son Romancero Queer vu au printemps dernier à la Colline. Objet hybride inégal et chaotique mais qui répond avec fougue, force et malice aux inégalités et au chaos du monde, ce spectacle est du grand Despentes, tout en splendeur enragée et désordre réjouissant.
Être ou ne pas être punk : la question ne se pose pas
Quatre artistes à la table. Iels travaillent à leur nouveau projet : écrire et mettre en scène une pièce qui va tirer à boulets rouges sur le capitalisme, le patriarcat, le fascisme, le racisme, la LGBTQIA+phobie, bref tout ce qui nous hérisse le poil, nous les gens de gauche, qui désespérons de ce monde qui nous ressemble de moins en moins. C’est une mise en abîme : Virginie Despentes, Paul B. Preciado, Julien Delmaire et Anne Pauly sont ces quatre auteur·ices et metteur·euses en scène. Iels ont cherché des manières de dire et de figurer leur lutte, de faire théâtre avec leurs angoisses, leurs rêves, leurs fantasmes d’un monde nouveau. Là sont le prétexte, la source et la raison d’être de Woke : c’est comment dans la tête de quatre artistes engagé·es, énervé·es, épuisé·es ? Comment mettre en scène, monter au plateau, montrer aux publics le militantisme, la faillite de certaines luttes, la joie d’autres combats ?
Woke, comme un miroir de nos existences, bancales et enragées, comme un défi à nos sociétés, violentes et saturées, comme une nique au fascisme déjà bien installé.
Ok, le spectacle est franchement inégal, il y a de longs moments qui ne fonctionnent pas, des petites choses qui coincent et des tentatives ratées. Parfois même on s’ennuie. Mais un peu comme dans la vie, non ? On dirait que c’est ce qu’a tenté l’hydre à quatre têtes qui a commis Woke en proposant une pièce hybride queer cabaret anarchiste ballroom indé underground difforme et décousue. Woke, comme un miroir de nos existences, bancales et enragées, comme un défi à nos sociétés, violentes et saturées, comme une nique au fascisme déjà bien installé. Alors oui, on regrette plein de choses : que la destruction au plateau n’arrive pas plus vite, que la foule d’acteur·ices et performeur·euses sur scène soit un chouilla sous-exploitée, que la proposition ne soit pas encore plus énervée. Mais le geste est là, et l’envie, et l’amour. Donc plutôt que de tenter de faire un article tri-partite bien problématisé et bien sage — qui serait une insulte au travail anar de ces quatre chevaliers de l’Apocalypse bébé — je vous propose une tentative inégale, chaotique, punk en somme, d’hommage à Woke, cet objet bizarroïde mais quand même bien identifié de rage ravageuse et réjouissante, dont le sous-titre pourrait être « préparez-vous pour la bagarre. »

À lire à voix haute le jour la nuit debout couché·e en mode incantation magique pour faire advenir le monde d’après
Il faudrait tous·tes porter de très très haut talons et les faire claquer tac tac tac dans la rue et écraser les cons crac crac crac, il faudrait parler très fort et montrer que le silence n’est plus de mise, il faudrait joindre le geste à la parole et hurler hurler hurler : « Coupez-vous la bite, bordel ! » Et que les concernés joignent eux aussi le geste à la parole. « Vous êtes de gauche, oui ou merde ? » Et bah montrez-le alors. Joignez le geste de gauche à la parole de gauche mettez-vous debout mais surtout pas en rang, mettez-vous en marche mais surtout pas celle de Macron (LREM t’as capté ?), unissez-vous prolétaires, travailleur·euses, travailleur·euses du sexe, travailleur·euses du texte, les rêveur·euses, les désirant·es, les affamé·es, les assoiffé·es, crions-le haut et grand : Siamo tuttз antifascistз (oui, oui, l’écriture inclusive c’est aussi en italien) clap clap clap clap clap clap clap clap clap SIAMO TUTTƎ ANTIFASCISTƎ (encore plus fort) SIAMO TUTTƎ ANTIFASCISTƎ car n’en déplaise aux tyrans de ce monde l’antifascisme n’est pas un acte de terrorisme mais un acte révolutionnaire parce que la Révolution est aussi un acte d’amour et que le monde a besoin d’amour et de révolution et puis tout ce qui va avec Free Palestine Free Congo Free Soudan Soa de Muse présidente (et Soraya Garlenq aussi, girl tu as mon cœur) car il est temps de faire acte de démocratie et de changer de République.
Ayons confiance en nous-mêmes en notre puissance en notre nombre en notre raison en notre tendresse. Notre sensibilité au monde est notre force, unissons-nous dans la caresse, ici commence le chapitre de l’amour, ici commence le livre de la joie, ici commence la vie du bonheur.
Ayons confiance en nous-mêmes en notre puissance en notre nombre en notre raison en notre tendresse. Notre sensibilité au monde est notre force, unissons-nous dans la caresse, « ici commence le chapitre de l’amour », ici commence le livre de la joie, ici commence la vie du bonheur, écrivons cheminons jouons, relayons-nous dans les combats reposons-nous parfois, ça va aller, le monde fait peur mais le monde est beau, il vaut la peine, il vaut la joie, cherchons le plaisir et l’extase, envolons-nous et revenons sur terre, récréons-la cette terre, faisons-nous mages, médiums, oracles, prévoyons-nous de la lumière, des heureux dénouements, des lendemains qui chantent, chantons Bella Ciao et celui des partisan·es, prédisons-nous des chaos, mais des chaos debout, des chaos vivants, des chaos de renaissance et d’ivresse, soyons sans peur et sans reproche, non soyons avec notre peur, accueillons notre peur, nous avons raison d’avoir peur, c’est terrifiant tout ce qui se passe vous ne trouvez pas ? Nourrissons-nous de cette peur, transmutons cette peur en terreau fertile d’espoir et de foi, de foi en Despentes, en le théâtre, en nos broncas terribles (tape, tape du pied, fort, fort, que le sol tremble de ta colère), foi en nos joies résistantes et en nos résistances joyeuses, c’est nous qui brisons les barreaux des prisons, c’est qui nous qui dansons, fous et folles que nous sommes, les seul·es sages en vérité, les éveillé·es, sur les ruines du monde, nous qui dansons sur les cendres sachant pertinemment qu’ici naîtra le monde nouveau, la joie, la fête.

Parce que ça sert à ça aussi le théâtre : à sortir de soi et de chez soi, à faire communauté avec son·a voisin·e de rangée, à se lever à la fin du spectacle et à rugir sa joie. Oui, le théâtre c’est aussi communier et raviver la flamme. Alors, fais comme Virginie, écris ou crie ou les deux à la fois. Réapproprie-toi l’insulte et dis-toi : je suis woke, je suis queer, je suis pute. J’entre dans la danse, j’entre dans la transe, et ça va beaucoup mieux.
Woke
Mise en scène — Virginie Despentes
Texte — Julien Delmaire, Virginie Despentes, Anne Pauly & Paul B. Preciado
Avec — Sasha Andres, Casey, Félix Back, Poline Baranova Kiejman, Mata Gabin, Soraya Garlenq, Ambre Germain-Cartron, Félix Maritaud, Mascare, Soa de Muse (en alternance), Miya Péchillon & Clara Ponsot
Scénographie — David Bobée & Léa Jézéquel
Assistanat à la mise en scène — Fatima Ben Bassal
Lumière — Stéphane Babi Aubert
Son — Jean-Noël Françoise
Costumes — Caroline Tavernier
Décor — Ateliers du Théâtre du Nord
Du 24 septembre au 2 octobre au Théâtre Public Montreuil (complet), les 7 et 8 octobre au Quai CDN — Angers Pays de la Loire, les 14 et 15 octobre au CDN d’Orléans / Centre-Val de Loire (complet).
Durée 2h15.
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