Les six comédiens de Blue Room, de Prune Bonan, jouant à la console allongés sur un lit.

Blue Room : celui qu’on aimait

Du 21 mai au 8 juin 2024 s’est tenu la 17e édition du festival de mise en scène de la jeune création, organisée par le Théâtre 13, le Prix T13. Parmi les 6 finalistes, Blue Room de Prune Bonan aborde avec une finesse qui bouleverse les répercussions des violences sexuelles et sexistes au sein d’un groupe d’adolescents.

« C’est drôle, hein, on connaît tous des filles violées mais jamais de violeur… »

La phrase d’Olive, acide et désespérée, retentit dans l’ancienne salle de jeux où Lola, Sarah, Théo, Greg, Adam et elle ont grandi ensemble et passé des après-midis entiers à jouer à la GameCube ou à chanter à tue-tête les tubes de Sheryfa Luna. Désormais, la salle est un no man’s land où quelques membres du groupe, réunis à l’occasion de funérailles, restent silencieux et tétanisés. Un silence de dix ans qui a suivi l’arrestation de l’un d’entre eux, l’été du bac, pour viol, une déflagration qui a éloignés irrémédiablement, ceux qui ont cru en l’innocence de leur ami d’enfance et ceux qui n’ont plus voulu l’approcher.

Personne n’a rien vu

Comme les personnages, le spectateur est confronté à sa propre cécité car comme eux il ne verra rien. Prune Bonan et ses comédien·ne·s détournent en effet notre attention et notre vigilance (éveillée pourtant par le sujet de la pièce) en remontant le temps et en nous racontant d’abord une adolescence ordinaire, truffée d’objets et de références nostalgiques à la culture des années 2000 à 2010, celle de la majorité des spectateur·ice·s présents dans la salle, ravis de pouvoir la revivre l’espace d’une heure. La pièce nous balade ainsi entre parties de Twister et de Mario Kart, révisions du brevet et culture geek, chamailleries et premiers gadgets numériques avec une tendresse infinie qui secoue de rire le public à intervalles réguliers. La suite n’en est que plus déchirante car que reste-t-il de ces souvenirs si importants dans la construction d’un adulte lorsqu’ils sont entachés du crime commis par l’un des siens ? Avec un dispositif vidéo final terriblement intelligent et poignant, Prune Bonan nous invite à revisiter les zones d’ombre de notre propre mémoire. Et nous, avons-nous vu lorsqu’il fallait voir ? Avons-nous trouvé des excuses comme celles qui émaillent la bande-son des interrogatoires des différents membres de la bande ? Avons-nous été aveuglé·e·s par nos préjugés et notre affection pour quelqu’un qui ne la méritait pas ?

« Les monstres ça n’existe pas. »

C’est dans le jeu des comédiens, tous excellents, que la pièce se révèle la plus efficace pour servir son propos : nous nous attachons nous aussi irrémédiablement à Greg, un peu beauf sur les bords mais d’une tendresse et d’une loyauté indéfectibles, à Théo le joyeux drille et bon copain, et à Adam l’intello discret et sensible, au point de douter, nous aussi, de la culpabilité de l’accusé, d’autant plus que la victime ne fait pas partie du groupe ; comme le dit Lola : « elle, on ne la connait pas ». A l’heure où un discours haineux associe immigration et viol, la pièce vient illustrer ce que les statistiques rappellent chaque année : plus de la moitié des victimes connaissent leurs agresseurs, jusqu’à neuf personnes sur dix selon certaines études : comme le dit justement Adèle Haenel :

« Les monstres ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous, nos amis, nos pères. »

BLUE ROOM
Texte et mise en scène – Prune Bonan

Avec – Louis Battistelli, Aurore Streich, Thomas Sagot, Hélène Rimenaid, Alexandre Auvergne, Prune Bonan

Vu le 28 mai 2024 dans le cadre du Prix Théâtre 13.

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