MEDIUM : célébrer l’imaginaire

Un théâtre Immersif et poétique

Ce n’est pas la première fois que la compagnie Farouche franchit les portes du théâtre des 3T. Pleins Feux y avait découvert en octobre 2024 Silence Radio, une aventure immersive où nous avions plongé dans les abysses et rencontré ses mystérieux·euses habitant·es. La compagnie continue avec son théâtre signature : immersif, poétique et sensoriel, qui semble mettre au centre de son processus créatif l’observation du monde, toujours selon l’angle d’un ailleurs. Avec MEDIUM, nous émergeons des abysses et nous nous envolons pour une aventure spatiale. Nous sommes reçu·es par des sœurs, qu’on comprend venues d’une autre planète. Elles nous convient à participer à une « cérémonie de l’imagination ». Nous bâtirons ensemble l’espace, la vie et la société d’un monde créé à partir de nos imaginaires.

Nos hôtes nous accueillent avec un fort enthousiasme. Nous savons que nous allons vivre une expérience unique et guidée par elles, nous allons créer un nouveau monde. Le public est au cœur de l’expérience, puisque c’est à partir de ses suggestions que va apparaître la matière, le climat, le nom et l’aspect des créatures qui vivent dans de ce nouvel univers. Nous allons jusqu’à devenir des portes paroles de ce monde nouveau, issu d’une intelligence collective, du dialogue entre la salle et la scène mais également au sein même de la salle.

Le public semble un peu surpris de ce code de jeu nouveau (même si le théâtre immersif a le vent en poupe) mais s’autorise progressivement à prendre la parole, échanger avec les autres. Il se libère doucement des codes et habitudes d’un théâtre sacré où la salle, plongée dans le silence, infuse les paroles qui parviennent jusqu’à elle. L’étrangeté de l’exercice est complètement assumée par les comédiennes qui jouent des personnages malicieux, surprenants et prêts à gérer les aléas de la salle en étant au plus près des spectateur·ices, dans un rapport très franc, généreux, espiègle mais bienveillant.

Medium, de la compagnie Farouche
© Etienne De Wailly

Sublimer la page blanche

Nos deux médiums (interprétées par Camille Seitz et Noa Soussan) sont habillées de bizarre et déambulent dans l’étrange. Elles sont vêtues de combinaisons blanches, réalisées par Noé Quilichini, qui sont à l’image du spectacle : un patchwork d’imaginaires. Les vêtements naviguent entre des robes de nonnes, des tenues de Jedi ou même des costumes d’ABBA. Au fur et à mesure que les comédiennes s’effeuillent, apparaissent de nouvelles formes et matières auxquelles sont associées une ou deux chimères. Mais si les silhouettes changent, la couleur reste toujours un blanc éclatant.

La scénographie de Remy Ebras est elle même constituée de blanc. Au plateau, des aplats opalins sont suspendus au plafond et habillent l’espace. Ces rectangles ivoires accueillent le monde fictif pensé par le public. Sommes-nous face à des paperboard d’une conférence ésotérique, des toiles qui ne demandent qu’à être peintes, ou bien devant des draps étendus où parfois nos ombres se projettent ? Il n’y a pas vraiment de réponse, la scénographie est à l’endroit juste pour que toutes les prises imaginées soient justifiées par l’espace. Nous sommes face au canevas blanc de notre imaginaire, tout -ou presque- est à créer.

Ainsi, l’esthétique de MEDIUM est très englobante et bien pensée. L’atmosphère est aussi bien étrange, voire inquiétante parfois, que douce et stimulante. Avec relativement peu, la compagnie parvient à créer un espace singulier et nous éloigne assurément de notre connu.

Medium, de la compagnie Farouche
© Etienne De Wailly

La force de l’imaginaire

MEDIUM est un retour en enfance où il est permis au public de repenser à des créatures chimériques et de rapidement se prendre au jeu de la fabrication d’une histoire. Le spectacle fait tomber le quatrième mur puisque d’emblée nos héroïnes s’adressent à nous et nous accompagnent tout au long de ce voyage immobile. Pourtant, on pourrait également dire que le spectacle fait tomber le 5ème mur, celui-ci plus solide encore, qui se dresse entre les spectateur·ices. Il est plutôt rare dans une vie de discuter assez sérieusement avec notre voisin·e des « leobibiels », les nouvelles espèces de singes que vous venez d’inventer ensemble.

La pièce tisse un petit lieu commun tout en douceur, sans vouloir pour autant proposer une solution téléphonée à une société fracturée et où le dialogue est polarisé. Et puis entendons-nous bien, si les spectateur·ices d’une salle de théâtre ne se parlent pas toujours, discuter avec la personne à côté de nous dans un théâtre qui soutient l’émergence en région parisienne n’est pas le brassage du siècle. Mais peut-être est-ce un début. La compagnie en tout cas s’empare autant que possible des outils mis à disposition pour ouvrir le dialogue. Elle fait notamment un gros travail de médiation dans le cadre scolaire.

Sans aucune démagogie, MEDIUM offre une entrée ludique et poétique vers un ailleurs. Ces sœurs médiums nous rappellent la magie de l’intelligence collective, la joie et la force de l’imaginaire. C’est un friendly reminder de notre nature commune, notre goût des histoires et notre capacité à repenser les mondes.

Medium, de la compagnie Farouche
© Etienne De Wailly

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