Pamina de Coulon dans Maledizione

MALEDIZIONE : tisser les vents de l’Histoire

Après l’eau dans NIAGARA 3000, celle des glaciers alpins, des larmes et des chutes éponymes, Pamina de Coulon place MALEDIZIONE, sa dernière création, sous le signe de l’air – cet air qui transporte en un même mouvement « plein d’histoires et de pollen et de produits chimiques », et dont elle prend une large inspiration avant de se lancer. À l’image de cet élément volatile, insaisissable, toujours en mouvement, qui se faufile dans toutes les brèches et fait entrer « le ciel à l’intérieur des gens », la parole de la performeuse suisse file dans le vent, visite pléthores de sujets, ralentit, s’arrête, tourne et repart au gré des appels d’air, et rapporte elle aussi plein d’histoires, de récits, de pensées et d’émotions qui nous enrobent. On retrouve avec joie cette parole-torrent devenue parole-ouragan, qui structure toutes les performances de sa saga FIRE OF EMOTIONS, dont MALEDIZIONE est déjà le cinquième volet. Une série dans laquelle Pamina de Coulon prend à bras le corps la complexité du monde, dans toute son amplitude (qui ne se limite pas aux humain·es), ses contradictions et ses injustices (voir notre entretien).

Foisonnement et famille choisie

MALEDIZIONE donc, c’est plein d’histoires à la fois : l’histoire de nonnes du XXe siècle qui demandent leur excommunication et vendent leur couvent pour se consacrer à la justice, d’une mystique du XIIe siècle qui apparaît à Pamina, et de Radegonde de Poitiers qui refusa de régner et fonda un hospice. L’histoire de de la naissance du plastique à usage unique, des réunions Tupperware à la fois symboles du capitalisme et lieux de communauté, et de ces plantes que l’on boit en tisanes ou en décoctions abortives, qu’on soit esclave dans la Grèce antique, « sorcière » du Moyen-Âge, ou performeuse du XXIe siècle. L’histoire d’une femme qui ne veut pas d’enfants, et celle de groupes de pressions natalistes qui investissent des millions d’euros dans un projet de société réactionnaire. Des histoires d’odeur, de vent, de mine, et de dragon, qui se font écho et se répondent, que la performeuse raconte et nous fait traverser pendant une heure et dix minutes, sans perdre haleine ni perdre notre attention, fascinés que nous sommes par ce tableau oral aux mille détails entrelacés qu’elle compose en direct.

Maledizione de Pamina de Coulon
© Alix Golay

Passant avec fluidité d’un sujet à l’autre, Pamina de Coulon s’interroge sur le Moyen-Âge et démonte les clichés qui lui sont associés (la puanteur, l’espérance de vie), remonte le fil de l’origine du patriarcat jusqu’aux sociétés égalitaires du Néolithique, revalorise les activités de grands-mères et de petites filles (« Méfiez-vous des femmes qui tricotent »). Au plateau, assise sur un grand pouf en symbole d’œil, elle déploie de grandes fleurs en tissu, qu’elle plante et offre à toutes celles et ceux qu’elle porte près de son cœur, qu’il s’agisse de fillettes de littérature ou de scientifiques queer qui déconstruisent les présupposés hétérosexistes des sciences dominantes. Ancrée dans son expérience, sa parole est subjective, mais elle n’est pas solo : comme à son habitude, elle étaie son discours avec un foisonnement de compagnes et compagnons, références intellectuelles ou artistiques, d’Émilie Hache à Brigitte Fontaine en passant par Angela Saini, Tim Ingold et tant d’autres. Des appuis qu’elle ne convoque jamais en arguments d’autorités ou en savoir écrasant, mais toujours comme des ami·es avec lesquelles on partage un bout de chemin (de pensée), et qui éclairent le réel d’une autre manière. Une sorte de famille choisie, en somme, qu’elle partage avec nous (durant le spectacle, et au moyen d’une bibliographie manuscrite XXL qu’on peut récupérer à l’issue), et qui nous invite à multiplier nous-mêmes nos connexions et entretenir nos liens.

L’imagination et l’empathie contre le grand récit de la domination

Le fil rouge de cet enchevêtrement de récits et de références est celui de l’histoire – qui la raconte, dans quel but ? Celui de Pamina de Coulon est clair, il faut « détricoter le grand récit historique, trou de mite par trou de mite », ce grand récit de la domination des hommes sur les femmes et du capital sur la terre. Sensible au poids des mots et des concepts quand on les formule avec précision et nuance, elle invite à modifier notre image du temps, concevant les générations non plus comme des couches qui s’entassent, mais comme des cordages qui nous relient aux passés à redécouvrir et aux futurs à imaginer. Cette imagination devient une force d’esprit au quotidien, permettant d’entrevoir les morceaux de ciel dans le poumons des passant·es, de se représenter les oublié·es de l’Antiquité pris·es d’un fou rire dans les sources thermales, et d’inventer un futur où l’on mettra fin à toutes les exploitations, où on aura élargi plutôt que réduit le cercle de notre empathie. Sans aucune vision simpliste : il faut s’entraîner à parler, à discuter pour avoir ces « grandes conversations compliquées et difficiles dont on a la flemme », et « essayer d’oublier d’avoir raison ».

Pamina de Coulon, son pouf en forme d'oeil, dans Maledizione

« J’adore la vie » s’exclame Pamina de Coulon, non dans une insouciance naïve, mais comme une incantation magique, un charme de protection et de fermeté, qui guiderait l’action et nourrirait la pensée. Si dans une autre vie, elle se serait bien vue en spécialiste de la chimie moléculaire, ou d’un autre des innombrables sujets qui la passionnent, dans celle-ci, elle va et vient sur les scènes telle Mary Poppins, pour apporter courage, réconfort et soin à tous·tes. Semblable aux fleurs qu’elle dispose autour d’elle, reproduisant le grand ballet universel des végétaux et du vent, Pamina dissémine dans l’air mille pollens qui viennent féconder nos cœurs et nos imaginaires.

MALEDIZIONE

Recherche, écriture, conception et jeu – Pamina de Coulon
Décor – Pamina de Coulon, Alice Dussart
Lumière – Alice Dussart
Production, diffusion – Sylvia Courty

Du 25 au 29 novembre au Théâtre Silvia Monfort, Paris.

Prochaines dates
4 et 5 mars 2026 – Le Pommier, Neuchâtel (Suisse)
18 mars – Centre Culturel André Malraux, Vandœuvre-lès-Nancy

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