Rue d’Orchampt : de l’autre côté d’ici

Au CENTQUATRE à Paris, d’étranges présences nous accueillent au sein de Rue d’Orchampt, une expérience immersive théâtrale et magique du Groupe ZUR (Zone Utopiquement Reconstituée). Dans cet espace aux secrets partagés, le public déambule à sa guise dans un univers peuplé d’hologrammes, de jeux de miroirs et de dédoublements. Hybride et poétique, ce micro-monde rassemble et ravit celles et ceux qui osent s’y aventurer.

Passage secret

La rue d’Orchampt, au nom singulier, semble enveloppée d’un certain mystère. Cette petite rue parisienne du 18e arrondissement, nichée dans les hauteurs de Montmartre, a vu séjourner, entre autres, Louis-Ferdinand Céline, Paul Newman et Céline Dion. Mais aussi Monsieur Dutilleul, le héros de la nouvelle de Marcel Aymé Le Passe-Muraille. Ce discret fonctionnaire, habitant du 75 bis de la Rue d’Orchampt découvre un matin qu’il possède un don épatant : celui de « passer à travers les murs sans en être incommodé ».

Hommage rendu et défi relevé par le collectif pluridisciplinaire Groupe ZUR, qui reconstitue un appartement aux cloisons magiques et ébréchées. Nous y devenons, nous aussi, passe-murailles : des fenêtres mènent vers l’ailleurs, nous entrons dans un tableau, nos reflets nous précèdent…
Par une série de dispositifs ingénieux, d’instructions chuchotées et d’évasions autonomes, nous voilà projetés au coeur d’un espace imaginaire et normalement inaccessible, entre le champ et le hors-champ.

Le dessous des images

© Jef Rabillon

Dans ce dispositif en deux parties, le public déambule d’abord dans un espace onirique parsemé de présences volatiles : un oiseau de fumée se libère de sa cage, l’ombre d’une araignée court sur un mur, une danseuse s’anime entre des grains de sable, un promeneur échappe aux coups de pinceaux d’un peintre… Le temps de quelques secondes, on saisit au vol ces micro scènes de vie, dont l’origine et l’activation nous semblent encore bien mystérieuses.

Puis, après avoir osé jeter un œil, puis un pied, dans le hors-champ, nous sommes rendu·es complices de la machination poétique : nous créons à notre tour l’atmosphère musicale et magique dont bénéficierons les visiteur·euses suivant·es. Bien loin d’une déception, cette entrée dans le contrecoup réveille la sensation grisante de fabriquer du mystère, tout en se laissant embobiner. La multitude de dispositifs déployés, entre hologrammes, retransmission vidéo et miroirs sans tain, n’en est pas moins impressionnante, et le sentiment d’irréel ne s’affaiblit pas.

Points de rencontres

Le Groupe ZUR réactive ici la pratique des entresorts, ces baraques fermées dans lesquelles étaient exposés les monstres et autres étrangetés de la nature, en s’intéressant à l’essence même du terme : un espace dans lequel on entre, puis duquel on sort. À la différence qu’ici, nous sommes à la fois les monstres et les bonimenteurs : dans ces rencontres entre champ et hors-champ, les présences se superposent pour créer des coïncidences entre visages de spectateur·rices, des êtres hybrides, des passe-murailles.

© Jef Rabillon

Mêlant intelligemment les codes du spectacle et de la performance/installation, cette Rue d’Orchampt nous invite à expérimenter la liberté de la fiction et de ses réappropriations : sans jamais imposer de sens, les artistes – ni vraiment personnages, ni vraiment technicien·nes – nous guident avec bienveillance dans les multiples trajectoires qui s’offrent à nous. L’expérience s’adapte aux rythmes et aux habitudes de chacun·e, et respecte le degré d’immersion que nous voulons lui donner.

On s’y installerait bien plus longtemps, dans cette Rue d’Orchampt. Par définition, il faut pourtant se résoudre à en sortir, pour ne pas risquer de rester coincé dans la pierre, comme le héros de Marcel Aymé.

Rue d’Orchampt

Création collective Groupe ZUR (Evelyne Caillet, Raphaël Dalaine, Stéphane Delaunay, Olivier Guillemain, Flop Lefebvre, Jean-François Orillon, avec l’aide de David Boidin, Laure Chartier et Soraya Sanhaji)
Collaboration formative et inspirée de – Elisa Cazelles, Léo Guillemin, Marie Serres Giancotti

Jusqu’au 25 mai au CENTQUATRE-PARIS

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