Vielleicht : dissection de l’acte militant

Une dramaturgie polyphonique

La composition de Vielleicht, subtile et inventive, entrelace archives historiques, documents officiels et récits intimes. À travers leurs déambulations dans les rues de Wedding, les deux acteur·ices principaux- Safi Martin Yé et Cédric Djedje dialoguent avec des spécialistes, échangent avec des habitants, et racontent des expériences personnelles, comme un date ou une soirée en boîte de nuit. Une séquence particulièrement émouvante voit Cédric Djedje converser avec  une vidéo de sa mère, abordant la question de l’héritage linguistique et des blessures invisibles de l’histoire coloniale. Ce mélange d’échelles – des grands récits historiques aux anecdotes personnelles – insuffle une dynamique très stimulante à la dramaturgie.

Vielleicht, de Cédric Djédjé, au Festival Impatience
© Dorothée Thébert

La polyphonie de Vielleicht, tantôt légère, tantôt grave, ouvre un espace d’interrogation qui permet au spectateur d’appréhender le sujet sous divers angles. Loin d’opposer émotions et réflexions, le spectacle fait des premières un vecteur essentiel de compréhension historique. Ce parti pris rapproche le public du propos tout en développant une dramaturgie « historique »  qui transforme les tensions inhérentes à la discipline en éléments performatifs et sensibles. 

Une immersion dans l’acte militant et ses implications

Le spectacle offre un éclairage précieux sur quarante ans de lutte pour débaptiser ces rues, tout en explorant l’impact émotionnel sur les personnes qui ont porté ce combat. Ce qui en fait sa singularité, c’est qu’il ne se positionne pas comme une œuvre militante à message prédéfini, mais comme une réflexion sur l’acte militant lui-même. Il interroge l’engagement, tant dans sa dimension historique – un combat peut durer des décennies alors que les injustices existent depuis bien plus longtemps – que dans ses implications personnelles pour ceux qui le portent.

Vielleicht, de Cédric Djédjé, au Festival Impatience
© Dorothée Thébert

Vielleicht ne lance pas un appel explicite à l’action, mais invite plutôt à une introspection sur les implications de l’engagement. Il ouvre un espace de questionnement où chaque spectateur peut se projeter dans ces luttes, tout en prenant conscience des sacrifices et des exigences concrètes qu’elles impliquent. La présence de Reha Simon dans les dernières minutes renforce ce sentiment d’implication directe. Co-fondateur d’Histoires Crépues, un média dédié à une lecture décoloniale de l’histoire française, Reha Simon étend la portée du propos. Pour ceux qui étaient tentés de lire le spectacle à travers le seul prisme de l’histoire Allemande, la résonance avec notre propre passé coloniale devient indiscutable.

Une proposition parfois un peu didactique malgré de beaux moments de théâtre

Malgré la richesse de son propos et la finesse de son traitement, le spectacle souffre par moments d’un léger didactisme. Il manque peut-être une tension globale, quelque chose qui tienne d’avantage le public en haleine au fil des scènes. Cela n’empêche pas les scènes prises dans leur individualité de se révéler très vivantes et empreintes d’une grande inventivité, comme les interactions avec les vidéos ou les séquences immersives où Cédric Djedje navigue au milieu du public. En dépit de ce léger bémol,  cette création demeure une œuvre ambitieuse et nécessaire, alliant profondeur historique et sensibilité contemporaine. Une œuvre vibrante d’intelligence et d’humanité, que l’on espère voir résonner encore longtemps sur les scènes internationales.

Une lueur d’espoir en filigrane

A la fin de la représentation, Cédric Djedje et Safi Martin Yé déplient un kanga, une étoffe traditionnelle tanzanienne contenant des motifs imprimés et un aphorisme. On y lit cette phrase : « Ce sont les petits poissons qui ont réussi à percer le filet du pêcheur. » Répétée au fil de la pièce, notamment sur les coussins disposés au début du spectacle, cette maxime agit comme un leitmotiv d’espoir, soulignant la force de l’action collective. 

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