Tout est bien qui finit bien, de Frédéric Jessua

Tout est bien qui finit bien : délicieuse ironie

Cette saison, les mises en scènes des textes de Shakespeare sont à l’honneur sur les scènes parisiennes : après le Makbeth de Munstrum Cie, l’équipe de pleins Feux a découvert pour vous une pièce plus méconnue de l’auteur élisabéthain : Tout est bien qui finit bien, mis en scène par Frédéric Jessua au Théâtre 13. Une adaptation survoltée qui ne craint ni mélange de genre ni anachronismes, et tant mieux !  

Une pièce de contrastes

L’infortunée Hélène est amoureuse de Bertrand, le fils de celle qui l’a élevée. Afin de le conquérir elle est prête à tout : de la Cour du Roi aux places malfamées de l’Italie de la renaissance, elle parcourt obstinément tous les territoires d’une Europe méridionale criblée par la guerre. Cette pièce de Shakespeare écrite en 1604 retrace l’épopée de cette héroïne digne d’une odyssée, l’ironie en plus. Car l’intrigue ne manque pas de rebondissements ni de contrastes : comme l’explique Frédéric Jessua, « Tout est bien qui finit bien fait partie des « pièces à problèmes » dans le canon shakespearien, parce qu’elles offrent une fusion entre comique et tragique. ». Entre chasteté et érotisme, cette adaptation survoltée embrasse les contraires et rend toute sa désinvolture à cette pièce trop méconnue. Dans une mise en scène qui prend le parti du ludisme, le flirt avec le grotesque est partout et tous les moyens sont bons pour faire ressortir la charge comique de l’écriture Shakespearienne.

© Nicolas Blandin

Des scènes de guérison ubuesques aux combats tournés en ridicule : les ressorts du comique de geste et de situation sont omniprésents et de bon goût : Frédéric Jessua réactualise l’effronterie propre à cette écriture et ravive par là tout le plaisir qu’il y a à rire de bon coeur.

Heureux anachronismes

Pour mettre en jeu les contrastes dramaturgiques que cette pièce implique, Tout est bien qui finit bien est truffée d’anachronismes : ils fonctionnent à la fois comme une réactivation au présent des codes de l’époque élisabéthaine et comme distanciation loufoque. Le travail remarquable de la costumière Julie Camus explore cette hybridation entre plusieurs codes vestimentaires : les manches bouffantes du roi s’accordent étrangement bien avec le top à résille qui laisse voir son torse, évocateur de vêtements érotiques. De la même manière, la reine porte un déshabillé de soie : un tissu noble qui contraste avec la sensualité du peignoir. La scénographie rudimentaire, faite de panneaux à roulettes, évoque très simplement des salles de château, des champs de bataille ou des places populaires.

© Nicolas Blandin

Au-delà de toute volonté de réalisme, la théâtralité est ici un outil pour servir le propos du texte, nous sommes en permanence dans la conscience de l’illusion. Ainsi, l’ensemble de la conception du spectacle explore ce jeu de contraires et nous plonge dans un univers où les frontières temporelles et physiques sont brouillées : on est dans l’espace-temps du théâtre.

Qui a peur du grand méchant cliché ?

Certainement pas Frédéric Jessua qui s’en donne à coeur joie : le roi d’Italie Alexandre de Médicis se transforme en malfrat aux couleurs de Ferrari sur bruit de moteur, les jeunes femmes italiennes vêtues de longues robes aux motifs empruntés à l’emblématique Dolce Gabbana, la ville de Marseille est tout simplement signifiée par Jul et un serviteur-SCH qui récite du Shakespeare de son accent chantant… On l’a dit, l’anachronisme n’est pas un problème. L’abondance des clichés sert certes le comique de la pièce, mais il m’a semblé parfois un peu gratuit de surligner les perches tendues par une lecture ultra contemporaine, peut-être au dépend d’un texte qui échappe à certains égards à sa portée tragique. Mais cet écueil est largement rattrapé par l’ardeur des comédien·nes auxquel·les on cède volontairement un éclat de rire, au vu de la vigueur avec laquelle iels dépoussièrent un texte parfois pompeux. 

Ils vécurent heureux etc ?

« Tout est bien qui finit bien », on aurait pu deviner l’ironie propre à ce titre un peu trop prophétique. Mais alors comment finir ? Les références piochées dans la pop culture, entre attaque de zombie et comédie musicale, ne sont que des parades. La meilleure des pirouettes de l’auteur reste encore de ne pas choisir : une fausse conclusion en forme de happy end permet de saisir qu’il n’en est rien et que cette épopée ne fait que commencer… Et tant mieux car on en redemande !

© Nicolas Blandin

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